Yusuf Alper, poète et psychiatre
Né en 1958, Yusuf Alper travaille comme psychiatre depuis 1979 et est professeur au département de psychiatrie de la faculté de médecine Egé à Izmir. C’est grâce à la lecture des poèmes du poète chilien Pablo Néruda qu’il commence à écrire. Son premier recueil de poésie, « Bleeding Poems », fut publié en 1985 puis « The Broken Mirror of Time » en 1985, jusqu’à « On The Road » publié en février 2014.
Les thèmes qu’il aborde dans ses poèmes sont liés aux conflits de l’inconscient chez l’homme, à la solitude, à la guerre et à la paix, à la dépression.
Yusuf Alper a reçu le prix de poésie Yunus Nadi 2014 pour son livre « Yolda » (Sur La Route).
Yusuf Alper vit à Izmir mais réside aussi parfois à Istanbul, où il possède une maison.
Il a eu le déclic poétique dès sa dernière année d’études de médecine, en ayant de longues conversations avec Djamel Su Cemal Süreya, le grand poète turc et rédacteur en chef du magazine littéraire « Papyrus ». Ce dernier lui dit un jour :
« Tu seras meilleur psychiatre ainsi car, en tant que poète, tu pourras saisir la psychologie des gens ».
En effet, « Être poète, pour l’exercice de la psychiatrie, c’est important », confirme-t-il. C’est de psychiatrie psychanalytique dont il nous parle - et qu’il exerce - celle qui permet « d’essayer de comprendre la personne en entier pour en être plus proche », (avec des rencontres médecin - patient de cinquante minutes à une heure, « le temps nécessaire pour une approche véritable », dit-il…).
De la psychanalyse au poème, le pas sera franchi, grâce à un « tempérament nostalgique » . Cela donne une poésie dont « le sentiment est exacerbé ». Par contre, pas d’influence directe des maladies psychiques sur ses écrits, même s’il déclare avoir été influencé dans au moins trois de ses écrits par des cas cliniques observés.
Il a fait son service militaire à Chypre en tant que psychiatre. Il venait tout juste de finir ses études. Là, il a pu avoir en consultation un soldat turc qui avait inscrit son nom dans la paume de sa main : « pour que mon âme ne soit pas perdue », lui précisa-t-il. Un cas de schizophrénie patente. Cela a inspiré le poème « Échec et Mat », qui évoque le suicide.
Un autre épisode malheureux qui l’a inspiré : un soldat demande à lui parler. Il refuse les médicaments qu’on lui propose. Le lendemain, Yusuf apprend qu’il s’est donné la mort : c’était une « visite d’adieu ». « Le suicidé a été à mat », comme il le précise…
« J’étais un oiseau d’espèce éteinteEt maintenant je suis un scorpion ».
Enfin, un autre de ses poèmes aura été influencé par la psychiatrie. Celui sur la dépression de ces jeunes femmes qui viennent en consultation : elles pensent que leurs parents ne les aiment pas car, élevées comme des princesses, elles deviennent ensuite les esclaves de leurs maris…
« Un humain idéaliste »
Ce sont les poètes eux-mêmes qui ont été la grande inspiration de Yusuf. Les poètes turcs, dont Djamel Su Cemal Süreya en premier, Jamal Surea (surréaliste), le grand Nâzim Hikmet, mais aussi les grecs Ritsos, Seféris, l’italien Eugenio Montale et également, par-dessus tout, Pablo Neruda.
Il cite également Yunus Emre, premier poète anatolien de langue turque, au XIIIe siècle, alors que l’élite, sous l’empire ottoman s’exprimait dans un mélange de persan et d’arabe. D’autres poètes, français, auront une influence cardinale pour ses écrits, comme Verlaine et surtout Baudelaire, qu‘il évoque souvent…
Son thème général est l’Homme. Plus jeune, il se considérait comme un « humain idéaliste » ; plus âgé, l’humain l’intéresse toujours mais aussi les objets, l’environnement, dans une « dialectique marxiste mais aussi existentialiste ».
« Un bon poète doit avoir une écriture matérialiste mais aussi métaphysique » dit-il.
Et il cite un de ses vers :
« Je suis une poignée d’eau dans ce fleuve qui coule pour l’Éternité ».
Il se dit être plutôt un « poète de la souffrance et de la peine » et il cite Jean Cocteau :
« Je n’ai pas pu montrer autre chose que mes blessures », phrase qu’il a mise en exergue de son troisième livre. Dans le premier poème du premier recueil, il crie :
« Moi, je suis un marchand de souffrance ! ». C’est en 83 ; il a vingt-sept ans… Ce poème, ainsi que les suivants, seront publiés dans la revue : « La Langue Turque ».
Deux ans après, il publie ce premier recueil. Mais il écrivait de la poésie bien avant cela, précise-t-il…
En 2014, le prix Yunus Nadi vient couronner cette longue carrière poétique : il en est déjà à son treizième recueil.
SoruDünyayı güzel göstermekmiş işimizOysa ben yılar yılı çirkin gösterdimGüzelim dünyaya yakışmaz dedimİnsanın öldürülmesi, açlık, kölelikHer şeye rağmen hayat güzelHayat yaşamaya değer dedimYanıldım mı ?Yanlış mı ?
QuestionNotre travail était de montrer le monde beauMais il se montre plus laid d’année en annéeje dis que le monde n’est pas digne du Beaude la famine, à l’esclavage, l’homme le tue.Malgré tout, la vie est belleJe l’ai dit il fait bon vivreMe suis-je trompé ?Est-ce faux ?
Extraits du blog de Jacques Basse, « l’écrivain illustrateur »
Tuğrul Keskin, le rebelle
Poète né en 1961 à Igdir. Tuğrul Keskin écrit son premier recueil de poésie en 1981. C’est en 1987 qu’il signe, avec quatre de ses amis, le « Manifeste de la Poésie Néo-Holistique, manifeste contre le Capitalisme et pour la Paix, centré sur l’individu », dans lequel il suggère une réinterprétation du langage et parle de l’universalité de la poésie.
Ses thèmes favoris : les sujets sociaux, essentiellement. Il croit au Socialisme. C’est la raison pour laquelle il s’intéresse à l’homme, à l’être humain et à ses problématiques.
Le point de départ : « l’individu, pour ensuite accéder à la société toute entière ». Puisqu’il est poète, il s’intéresse aux soucis et problèmes de l’individu, mais pas de la façon d’un homme politique qui doit se préoccuper-en principe- des problèmes sociaux… De toute façon, il pense que l’être humain est une « créature politique », au sens large du terme. Il n’adhère pas à tel ou tel parti mais se met en opposition aux puissants ou aux tenants de la politique en place [1] « Les vrais poètes sont contre ce gouvernement » ajoute-t-il. Et pour le système laïc introduit en Turquie par Mustafa Kemal. Alors que les choix actuels vont carrément en sens inverse, induit-il…
Il a écrit, en trente ans, onze recueils de poésie. Il prépare d’ailleurs un nouvel ouvrage intitulé : « Vive les Rebelles ! », (en grec : « Zito i Epanastasis ! ») Dans ce recueil, il s’agit de soldats grecs communistes qui étaient, en 1920, opposés à l’invasion de l’Anatolie. Deux cent soldats furent alors fusillés par le gouvernement grec parce qu’ils pensaient que l’invasion de l’Anatolie était un enjeu stratégique venant des impérialistes.
Tuğrul Keskin est aussi organisateur d’événements poétiques. Il est l’initiateur et le directeur, depuis trente ans, du festival de Salihli (à côté de Manisa). Deux manifestations par an, de deux jours chacune. En tout : cinquante éditions... Les prochaines années, des poètes étrangers seront aussi invités.
Enfin, en tant que directeur de la Culture, il prépare un autre événement, dans le district de Balçova (ville d’Izmir) : « L’Automne des Poètes » (« Şairler Sonbaharı »).
Kapını Açdüşüp kalkan çocuğumkapını aç, sana geldimdilim damağım kamaşıkaklım karma karışıkaç paramparça geldimyerle gök arasındabir vakithaylice tozup gezdimsığamadım bir yeredönüp sana geldimanladım sezdimiki cihandan da bezdimyaralı bir kuşumaç koyma beni eşikteçırpını çırpını geldimyoldaşlarım varlatin’den asya’ya kadardünyalarım varbu kalpten o kalbe kadaryine de geldimbütün kalabamlabirike birike geldimkapını aç sana geldimömrüm akıp geçmedenbu kirli avludan, açkapını açseninle ölmeye geldim.
Ouvre ta porteje suis un enfant qui tombe et se relèveouvre ta porte, je suis venu chez toima langue mon palais sont pâteuxmon esprit tout confusouvre déchiré je suis venuentre terre et cielun tempsj’ai beaucoup nomadiséje n’ai pu m’établir nulle partrentré je suis venu chez toij’ai compris j’ai ressentides deux continents je me suis lasséje suis un oiseau blesséouvre ne me mets pas sur le seuilen battant de l’aile je suis venuj’ai des compagnons de routedu pays latin jusques à l’asiej’ai des mondesde ce cœur-là jusques à ce cœur là-baset pourtant je suis venuavec toute ma triburéunissant du monde je suis venuouvre ta porte je suis venu chez toiavant que ma vie ne s’écoulepar cette cour sale, ouvreouvre ta porteavec toi je suis venu mourir
La revue Ayna
- Yusuf Alper et Claire Lajus, de la revue Ayna
- Crédits : S. Llorca 2014
C’est une revue numérique de poésie contemporaine turque en partenariat avec l’Université de Bordeaux III. Son objectif est de faire connaître la poésie contemporaine turque car « le roman est déjà traduit mais pas la poésie » déclare Claire Lajus [2], française, à l’origine de ce projet, lors de notre rencontre au Festival Voix Vives de Sète, en juillet dernier.
Parallèlement à la publication de la revue, des événements sont créés à Bordeaux pour la faire connaître ainsi que les poètes turcs qu’elle présente. Bientôt, d’ailleurs, une version papier sortira.
Simone Llorca, 2014