Invité par la quatorzième édition du Festival de l’imaginaire, qui depuis le 3 mars essaime en différents lieux de la capitale la diversité chatoyante de ses propositions, l’ensemble turc Bezmara, c’est du sérieux.
Sur la scène de l’auditorium du Louvre où la formation s’est produite les 10 et 11 avril (dans le cadre de la Saison de la Turquie en France, qui a pris fin le 31 mars), les huit musiciens ne sourient guère et semblent quelque peu crispés sur leurs partitions. L’affaire est d’importance... musicologique.
Formé en 1996 à Istanbul, à l’initiative du musicien, luthier et musicologue Fikret Karakaya, (harpe cheng, chant et direction), l’ensemble Bezmara s’est donné pour mission de faire redécouvrir le répertoire ottoman du XVIIe siècle, tout en débordant sur les périodes encadrant cet âge d’or.
Ce ne sont pas les premiers musiciens de Turquie à s’intéresser au riche patrimoine de la musique classique ottomane qui s’est développée avec l’essor des musiques de cour. Dès la fondation de l’Empire ottoman, les sultans successifs, somme toute assez mélomanes, ont développé une vie musicale intense au sein du palais.
Le percussionniste et chanteur Burhan Oçal, par exemple, s’est également emparé de ce répertoire transmis et enrichi grâce au talent des esclaves musiciens des sultans. Avec des libertés que l’ensemble Bezmara ne s’autorise pas.
Fikret Karakaya veut coller au plus près des partitions originelles (les Ottomans furent le seul peuple islamique à faire un usage systématique de la notation musicale, rappellent les notes de programme) et ce, sur des instruments d’époque reconstitués, notamment la harpe à vingt-quatre cordes cheng qu’il utilise lui-même.
Un instrument sensible qui nécessitera plusieurs réaccordages au fil de la soirée, un instrument disparu dès la fin du XVIIe siècle, comme les luths kopuz et shehrud utilisés par l’ensemble Bezmara, oubliés eux aussi, encore plus tôt. Avant de donner le dimanche 11 avril une idée de la musique ottomane sous le règne de Selim III, sultan de l’empire de 1789 à 1807, lui-même compositeur, le samedi 10 avril c’est dans le riche recueil de pièces compilées par Ali Ufki Beg, ancien esclave à la cour de Murad IV (sultan de 1623 à 1640), que Fikret Karakaya et ses amis piochent le programme de la soirée.
Musicien et lettré d’origine polonaise, Ali Ufki Beg s’appelle encore Vojciech Bobowski quand il est fait prisonnier par les Ottomans en 1633. Une fois affranchi, il se convertit à l’islam puis devient l’un des musiciens d’importance à la cour, notamment en compilant environ 650 pièces, sous le titre Saz u Soz (recueils de pièces instrumentales et de chants).
Un copieux thesaurus, significatif du répertoire de la musique ottomane des XVIe et XVIIe siècles, dans lequel l’Ensemble Bezmara et son patron pointilleux ont pioché avec gourmandise. Et un talent sûr. Si le côté solennel et quelque peu rigide des musiciens peut gêner, de même que les applaudissements qui s’engouffrent dans la moindre brèche de silence entre des pièces assez courtes, la musique, toute en raffinement, ciselures et mélismes tendres, donne ce que l’auditoire attend d’elle.
Concerts donnés au Louvre, les 10 et 11 avril. Prochains spectacles : « La Fugue de Zhubun et du fantôme », opéra nanguan par le Gang-a-tsui Theater de Taipei, les 13 et 14 avril, à 20 heures ; cérémonie des moines tibétains du monastère de Nechung (Dharamsala), du 15 au 17 avril, à 20 heures. Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, place de la Bastille, Paris 12e. Tél. : 01-45-44-41-42, sur le Web :