Le 21 décembre dernier, l’Union Européenne (UE) a ouvert le chapitre « Environnement » du processus de négociations qu’elle mène avec la Turquie. Depuis octobre 2005, pour Ankara, c’est le 12e chapitre ouvert sur les 35 que compte la totalité du parcours devant conduire à l’adhésion. Dans une interview au journal « Le Monde » (en date du 22 décembre 2009), le ministre suédois des affaires étrangères, Carl Bildt (au centre sur la photo), dont le pays préside l’UE jusqu’à la fin de l’année 2009, s’est réjoui de cette ouverture : « Le chapitre ‘Environnement’, que nous avons ouvert, est important et complexe. Nous démontrons que le processus en vue d’une possible adhésion se poursuit. Comme le processus turc de réforme, qui va clairement de l’avant. Je suis notamment impressionné par ce que les dirigeants d’Ankara appellent ‘initiative démocratique’, qui vise à résoudre la question kurde. Cette affaire aborde un thème crucial de l’histoire du pays. » L’événement a été également salué par le commissaire à l’élargissement, Olli Rehn (à droite sur la photo), qui a estimé que « cela montrait que le train de la Turquie restait sur les rails et avançait. » Pour sa part, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu (à gauche sur la photo), a souhaité que ce nouveau pas vers l’adhésion permette aux négociations « de prendre de la vitesse », en rappelant que la Turquie voulait adhérer à l’Union « sur un pied d’égalité par rapport aux autres membres de l’Union, avec des droits et des obligations pleins et entiers. »
Il est vrai que cette nouvelle est un petit rayon de soleil dans le cheminement européen difficile qui est celui de la Turquie. En dépit de l’ouverture de ce 12e chapitre, en effet, le différend chypriote a conduit au gel de 6 chapitres depuis 2006, tandis que la France entend bloquer les chapitres qui impliquent obligatoirement l’adhésion (notamment, celui des affaires économiques et monétaires) et que Chypre envisage de faire de même pour 5 autres chapitres. Ces négociations sont donc loin d’être un long fleuve tranquille, surtout si on les compare à celles qu’a conduites parallèlement la Croatie, qui s’est lancée dans l’aventure la même année que la Turquie, et qui a, d’ors et déjà, achevé 28 chapitres sur 35. La Croatie pourrait entrer dans l’UE, dès 2011, au moment où l’Islande, qui a déposé sa candidature en 2009, pense être en mesure d’adhérer en 2012, et où la Serbie vient de présenter sa candidature, à son tour. L’UE a, en outre, supprimé l’obligation de visas Schengen, pour la Serbie, le Monténégro et la Macédoine, une décision qui a provoqué l’ire du chef de la diplomatie turque, parce que son pays demande à Bruxelles, en vain, depuis un certain temps, de pouvoir bénéficier d’une mesure comparable, en vertu de l’acte additionnel à l’accord d’association et d’une décision récente de la Cour de Justice des Communautés Européennes.
Les difficultés rencontrées par la candidature turque et l’actuel voyage de Recep Tayyip Erdoğan en Syrie ont relancé les supputations sur les orientations nouvelles que prendrait actuellement la politique étrangère turque. Pourtant, le 23 décembre, à Damas, le premier ministre turc, a démenti que son pays soit en train de se tourner vers l’Est, en expliquant que les relations exemplaires, qu’il entend construire avec la Syrie, sont un processus nécessaire de normalisation, qui aurait dû être réalisé depuis longtemps.
On a néanmoins l’impression que, depuis quelques mois, la Turquie a donné un nouveau souffle à sa diplomatie, en se tournant vers des pays avec lesquels ses relations ont été longtemps difficiles, voire inexistantes. Les États du monde arabo-musulman ont été particulièrement démarchés par la diplomatie turque. Au-delà, de ses voisins irakien et syrien, Ankara est en train de nouer des liens forts avec l’Egypte. Le président Hosni Moubarak est venu à deux reprises cette année en Turquie, afin de négocier un partenariat spécifique de haut niveau. Recep Tayyip Erdoğan s’est également rendu en Lybie, le 24 novembre avant qu’Abdullah Gül effectue une visite officielle en Jordanie, début décembre. Ces deux déplacements se sont traduits non seulement par la signature d’accords économiques importants, mais aussi par la suppression de l’obligation réciproque de visas. Le 23 décembre, à Damas, Recep Tayyip Erdoğan a évoqué, à nouveau, ce type de coopération renforcée, en disant qu’il pouvait contribuer à une plus grande stabilité dans la région, voire devenir une référence en la matière.
Reste à savoir bien sûr si cette stratégie éloigne ou rapproche la Turquie de l’Europe. Les dirigeants turcs (en particulier, Ahmet Davutoğlu), ont répété, au cours des dernières semaines, que leur politique de bon voisinage et leur volonté d’ouverture au monde arabo-musulman, ne constituaient pas une alternative à leurs engagements institutionnalisés envers l’Occident (OTAN) et l’Europe (Accord d’Association et candidature à l’UE). De surcroît, en reprenant les réformes, et en particulier, en lançant le processus « d’ouverture démocratique », pour apporter une réponse politique au problème kurde, le gouvernement a voulu montrer qu’il entendait prendre à bras le corps les problèmes majeurs qui gênent son adhésion. Pourtant face aux atermoiements et au turcoscepticisme de plusieurs pays européens, la Turquie pourrait bien devenir à son tour eurosceptique, surtout si sa nouvelle politique régionale remporte par ailleurs de francs succès. Car, par les accords qu’elle signe, les coopérations qu’elle impulse et la marge de manœuvre qu’elle affiche à l’égard des occidentaux, la Turquie tend à montrer aux pays de la région qu’ils peuvent surmonter leurs problèmes par eux-mêmes, sans faire intervenir forcément des puissances extérieures…
JM