Lors d’une conférence de presse conjointe à Ankara, le 25 décembre 2006, avec son homologue azerbaïdjanais, Elmar Mamedyarov (à gauche sur la photo), le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu (à droite sur la photo), a réaffirmé solennellement les liens qui unissent Bakou et Ankara. « Il ne peut pas y avoir de malentendus entre la Turquie et l’Azerbaïdjan. Comme les membres d’une même famille nous nous parlons, et nous n’avons jamais rompu nos contacts », a dit le chef de la diplomatie turque, en reprenant à son compte la fameuse devise qui, pour exprimer la relation particulière qui unit les deux pays, évoque « deux Etats et une seule Nation ». Mais, Ahmet Davutoğlu a surtout indiqué que l’on avait jamais été aussi proche d’une solution dans le conflit du Haut-Karabakh qui oppose Arméniens et Azerbaïjanais, et il a souhaité que le groupe de Minsk intensifie ses efforts.
Ces propos d’Ahmet Davutoğlu ont fait écho à ceux tenus par Recep Tayyip Erdoğan, à Washington, lors de la récente rencontre que le premier ministre turc a eue avec Barack Obama, et au cours de laquelle il avait semblé lier à nouveau la ratification des protocoles signés, en octobre dernier, par Erevan et Ankara, à la résolution du conflit du Haut-Karabakh. Recep Tayyip Erdoğan a toujours mis fortement en rapport les deux dossiers et assuré que la normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie ne devait pas se faire au détriment de la solidarité existant avec l’Azerbaïdjan. Après le voyage d’Abdullah Gül à Erevan, pour le match de football Arménie-Turquie, en septembre 2008, et l’établissement d’une feuille de route devant présider au rapprochement entre les deux pays, en avril 2009, le premier ministre turc avait déjà paru en retrait, en réaffirmant qu’il ne pouvait pas y avoir d’accord turco-arménien viable sans solution au Haut-Karabakh. Une position qu’il avait aussi rappelée, au moment de la signature des protocoles, en octobre dernier, en estimant que la fin du conflit caucasien fossilisé faciliterait grandement la ratification des protocoles par le parlement turc.
La visite du ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères à Ankara intervient aussi peu après de récentes déclarations du premier ministre arménien, réagissant au propos de Recep Tayyip Erdoğan à Washington et aux rumeurs selon lesquels les protocoles turco-arméniens ne pourraient être ratifiés, sans une solution sur le dossier du Haut-Karabakh. Dans une interview au quotidien turc « Hürriyet », le chef du gouvernement arménien a insisté sur le fait que les protocoles en question avaient pu être signé, parce que la Turquie avait accepté de disjoindre la normalisation des relations turco-arméniennes de la résolution du conflit du Haut-Karabakh, et il a mis en garde la Turquie contre la tentation de lier à nouveau les deux dossiers (cf. notre édition du 21 décembre 2009).
Il semble pourtant un peu excessif de penser que les déclarations de Recep Tayyip Erdoğan à Washington et celles d’Ahmet Davutoğlu à l’occasion de la venue d’Elmar Mamedyarov, plus récemment, tendent à remettre en cause la signature des protocoles. En réalité, il paraît plus pertinent de rattacher cette attitude à celle que la diplomatie turque a toujours eu depuis cette signature et qui consiste à penser que le rapprochement turco-arménien constitue une opportunité unique de parvenir à une solution dans le conflit qui oppose Arméniens et Azerbaïdjanais. A cela s’ajoute la nécessité pour la Turquie de gérer sa relation avec l’Azerbaïdjan, dans le processus délicat qu’elle conduit actuellement en direction d’Erevan. Ankara n’a ainsi jamais formellement présenté le règlement du conflit du Haut-Karabakh comme une condition à la ratification des protocoles, mais en a plutôt fait une ardente espérance.
Toutefois, que se passera-t-il si d’aventure l’espérance venait à être déçue ? L’hypothèse paraît d’autant moins impossible qu’en dépit des rencontres multiples entre les présidents arméniens et azerbaïdjanais, ou des propos confiants régulièrement tenus par les officiels turcs, une solution a du mal à se dessiner au Haut-Karabakh. Au cours de la conférence de presse conjointe du 25 décembre, Ahmet Davutoğlu a confirmé que le gouvernement turc n’était pas très enclin pour l’instant à faire pression sur sa majorité au parlement pour obtenir à tout prix une ratification. Interrogé sur cette hypothèse, il a déclaré que pour son gouvernement, « la volonté du parlement restait au-dessus de tout. »
JM