Il est une évidence qu’en Turquie, l’armée, jusqu’à nos jours, occupait une position idéalisée et sacralisée. Les forces armées turques sont dans la tourmente depuis bientôt quelques années, notamment à cause du journal Taraf qui les critique sans ménagement. Ce quotidien est à l’origine de nombre d’affaires ayant grandement écorné l’image vénérée des militaires.
Une dernière révélation sur la mort des soldats survenue dans l’explosion de mines appartenant à l’armée, a semble-t-il, été l’affaire de trop. Beaucoup d’éditorialistes réputés proches des militaires, n’ont pas hésité à demander des comptes à l’état-major. On peut notamment citer l’ancien rédacteur en chef d’Hurriyet, Ertugurul Özkök qui dans sa chronique du 10 avril demande aux généraux si ses dissimulations vont encore durer longtemps.
Rédacteur en chef de Taraf, Ahmet Altan accuse et demande à l’armée de renouer avec une véritable éthique militaire.
Un ami que j’aime beaucoup, avait un moyen simple d’apprécier une personne : sa capacité à avoir honte. C’est très important que de reconnaître sa honte.Lorsque les militaires se mêlent à la vie politique, non seulement ils perdent leur respect et leur droiture, mais aussi, leur capacité à avoir honte.
Onze mois auparavant, 7 soldats sont morts dans l’explosion de mines posés par l’armée elle-même. Un communiqué de l’état-major déclarait, à l’époque, que ces mines appartenaient au PKK. Aussitôt, une opération de représailles fut lancée par l’armée contre le PKK. Au cours de cette opération, un autre soldat fut tué. Ces événements ont provoqué de vives tensions au sein de la classe politique, entraînant d’importantes réserves sur « l’ouverture démocratique ». Des enregistrements d’échanges téléphoniques entre officiers, circulant sur Internet, confirmaient que l’armée était au courant de la provenance réelle des mines dès les premiers instants du drame. Cependant, ils ont préféré mentir. Un mensonge aux conséquences des plus graves : tendre l’atmosphère politique, entraver un pas important vers une solution humaine de la question kurde et tuer dans l’œuf un début de processus de réconciliation. Ceci, sans tenir compte de la souffrance qu’endurait le peuple. Ils ont préféré cacher la vérité, d’une part pour dissimuler leur « faute » et d’autre part, pour entretenir un climat de tension afin de garantir leur autorité. Les médias n’ont bien sûr pas cherché à découvrir la vérité. Les journalistes opposés à « l’ouverture démocratique », trop contents de l’aubaine, ont réagi avec des « unes » qui allaient mettre un sérieux frein au processus de paix et de démocratisation.
Avant-hier, le journal Zaman, faisant un sérieux travail journalistique, publiait le « rapport officiel » sur l’explosion de ces mines. Dans ce rapport, le parquet conclue avec certitude, que les mines appartenaient bien à l’armée. Après avoir été à l’origine de la mort de ses propres soldats, après avoir menti, après avoir maquillé la vérité pour lancer une opération, après avoir gêné les prémices d’un processus de paix et, après être pris en flagrant délit de mensonge, la seule attitude possible serait d’avoir honte. N’est-ce pas ? Pensez donc !! Pas du tout ! J’ai encore vu hier, l’un des généraux qui s’exprimait à ce sujet. Il paraîtrait que « l’instruction suit son cours et qu’il était trop tôt pour exprimer un commentaire ». Ecoutez-moi ça, des documents que vous connaissiez depuis le début ont été publiés, de quelle instruction parlez-vous ? Attendre ?! Mais attendre quoi ? Cela fait onze mois que l’instruction dure, vous trouvez que ce n’est pas assez ? Onze mois pour reconnaître vos propres mines, ce n’est assez ? Très bien, après onze mois, vous n’êtes pas encore sûr que ces mines vous appartiennent, mais comment se fait-il alors, qu’il vous ait suffit de 24 heures pour déclarer que ces mines appartenaient au PKK ? Comment essayez-vous encore de nous leurrer et de nous faire taire ? N’avez-vous pas honte ?
Quelle genre d’armée êtes-vous, avec un général accusé de complot qui se vante de parler à son supérieur avec irrespect (le général Çetin Doğan, accusé d’être le cerveau du plan « Balyoz », par le biais de son avocat, déclare avoir parlé avec peu de délicatesse au commandant des armées de l’époque, Hilmi Özkök, NdT) et vous qui nous dites que l’instruction se « poursuit rapidement » alors que vous êtes pris en flagrant délit de mensonge ? Ne direz-vous donc jamais la vérité ?Vous avez menti pour Daglica (A l’automne 2007, 13 soldats avaient été tués dans une embuscade présumée du PKK. Le journal Taraf avait publié en juillet 2008 des documents prouvant que l’armée avait été avertie de l’attaque sans réagir, l’état-major avait ordonné à Taraf de lui remettre les dits-documents, sortis illégalement du secret militaire, Ndt ), vous avez menti pour Aktütün (Aktütün est un poste militaire où 17 soldats avaient été tués lors d’une attaque du PKK le 3 Octobre 2008, dans cette tragédie, Taraf accusait l’état-major d’avoir été au courant de l’attaque, sans avoir réagi, NdT), vous avez été confondus dans toutes ces affaires mais la seule chose que vous avez faite, c’était de nous mettre en cause. Vous avez qualifié de « morceau de papier » un document officiel (Taraf encore, avait publié en juin 2009, un document intitulé « plan d’action pour combattre la réaction » qui révélait un complot pour discréditer le gouvernement AKP et la confrérie de Fetullah Gülen, signé par un colonel de la marine à la retraite, Dursun Çiçek. Ce document, qualifié de « morceau de papier » par le chef d’état-major, Ilker Başbuĝ, se révéla être authentique suite à deux expertises, menées par deux procureurs, l’un civil et l’autre militaire, NdT), et vous avez trouvé le moyen de tenir des bazookas pour de simples tuyaux.
Ayez honte, taisez-vous, rougissez pour une fois. Il vous sera impossible de retrouver cet esprit militaire si vous ne ressentez pas cette honte, ne le comprenez-vous pas ? Si vous ne ressentez pas de honte pour ce que vous avez fait, vous allez sans aucun doute, reproduire un autre acte de honte et plus vous en ferez, plus vous vous éloignerez de cet esprit, cet éthique du soldat. Vous oublierez ce qu’étaient la discipline, le respect et la droiture.Vous traitez « d’ennemis de l’armée » ceux qui souhaitent que les soldats retournent dans leurs casernes, qu’ils sortent de la vie politique et qu’ils se cantonnent à leur devoir de militaires. Réfléchissez un peu à la question de savoir qui sont réellement les « ennemis de l’armée ». Qui d’autre que l’armée elle-même cause le plus de tort à l’armée ?
Vous a-t-on traité de putschiste alors que vous n’avez rien fait ? Vous a-t-on accusé d’avoir coulé votre propre navire sans que vous ne l’ayez fait ? Vous a-t-on accusé sans preuve alors que vous êtes restés sans réagir à des attaques tout en étant parfaitement informé ? Les innombrables documents attestant de complots au sein de votre armée sont-ils sortis de notre imagination ? De même que pour les armes dissimulées sous terre, n’ont-elles jamais existé ? Vous a-t-on accusé du meurtre des vos soldats par vos propres mines sans que vous ne l’ayez fait ? Imaginez un instant que ça soit une autre armée qui ait fait tout cela, qu’en penseriez-vous ?
Il ne nous reste plus qu’à vous dire une chose : « ça suffit, ayez un peu honte ! Taisez-vous et retrouvez votre âme de soldat. »