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Turquie : pas de diplomatie audacieuse sans démocratie

mardi 15 juin 2010, par Marillac, Oral Çalışlar

Alors que la politique étrangère turque traverse une période critique, la question kurde maintient son statut de question-clé quant à la démocratisation de la vie politique interne au pays. Oral Calislar interroge la pertinence d’une diplomatie globale qui, pour la Turquie, serait fondée sur une série de hiatus avec ses problèmes internes. Ou comment le statut de puissance émergente est-il également lié à une problématique démocratique.

Le Premier ministre nous raconte, avec force sentiments, le meurtre barbare de Furkan par les commandos israéliens qui prirent le Mavi Marmara [navire de la flottille humanitaire envoyée à Gaza, NdT] de force. Et il sait trouver le mots. Je n’ai rien à dire.

Mais au moment même où nous entendons de telles paroles, nous savons tous, que des milliers d’enfants kurdes sont retenus dans les geôles du Sud-est du pays. L’amendement législatif qui permettrait de garantir leurs droits ne parvient pas à passer le cap du vote à l’Assemblée. Le PKK poursuit ses attaques armées, les multiplie. Presque tous les jours, aux quatre coins du pays, nous connaissons les obsèques de soldats, qui plongent un peu plus le pays dans le chagrin. Au Sud-est, la pression sur les mouvements politiques kurdes ne cesse de croître. Les dirigeants du BDP [Parti pour la Paix et la Démocratie, pro-kurde, NdT] sont arrêtés, jugés. Et le Premier ministre de critiquer, à juste titre, la politique de double standard que l’Occident applique avec Israël et l’Iran. Il prodigue des avertissements très fondés quant à la nécessité de régler la question iranienne par la voie du dialogue.

On peut aisément affirmer que la politique étrangère du gouvernement Erdogan est une diplomatie à forte identité, adaptée aux réalités régionales de la Turquie. Certains milieux se fendent d’appréciations arbitraires du genre : « l’axe diplomatique de la Turquie a glissé, nous sommes devenus les esclaves de la politique arabe, les esclaves de l’islam politique. » On ne peut tenir ces dires que pour des « appréciations humoristiques ». La principale attente de ces milieux ? Que le gouvernement Erdogan rompe avec l’Occident, avec les Etats-Unis, qu’il se retrouve isolé, acculé et que sous pression occidentale soit formé un gouvernement CHP (gauche nationaliste) – MHP (extrême droite).

Il est légitime de vouloir fonder un tel gouvernement. C’est une question de préférence politique. Mais une telle préférence semble vouée à un glissement progressif loin des réalités politiques : c’est l’idée que « quoi qu’ils fassent, critiquons les gens en place, débarrassons-nous de l’AKP [Parti au pouvoir, mouvement du Premier ministre Erdogan, NdT] » qui prend le dessus sur cette préférence.

En politique étrangère, le Premier ministre prend des risques. Il mène une politique de rupture avec les anciennes références, les vieilles habitudes. Pourtant, au lieu de faire preuve du même courage, de la même audace sur la question kurde, il ne parvient pas à briser les coques des vieilles structures conservatrices et traditionnelles de la politique intérieure turque. Il en reste l’esclave.

« L’ouverture kurde » était un premier pas important. Je n’ai pas perdu espoir. Mais après tant de beaux discours, malgré des initiatives bien intentionnées, le point auquel nous sommes aujourd’hui parvenus ne nous autorise pas à trop d’espoir. Le gouvernement AKP se retrouve peu à peu entraîné dans une position d’où il ne peut considérer le mouvement identitaire kurde que comme un ennemi. D’accord, le mot « ennemi » est un peu fort, parlons de « concurrent ». Cette concurrence, alors qu’elle réduit le domaine légal d’expression kurde, étend l’espace, l’audience du PKK. Alors qu’en politique étrangère est suivie une politique aux horizons larges, une politique se confrontant aux véritables menaces, sur la question kurde, ce sont frilosité et indifférence qui dominent encore. On ouvre encore la porte à des développements susceptibles d’entraver la paix civile et la démocratisation.

Si le gouvernement AKP continue de fermer les yeux sur la réalité sociale d’un sujet aussi fondamental, il ne pourra jamais devenir un acteur influent, un vecteur de paix sur la scène diplomatique. La question kurde est un certes un problème interne mais également une question de dimension régionale. Le bocage permanent sur la question kurde pourrait frapper de faiblesse la politique étrangère de la Turquie sur la scène internationale.

Des pays comme Israël pourraient profiter de cette situation.
Tant que la Turquie restera en froid avec ses propres Kurdes, elle ne pourra pas avancer en direction des objectifs qu’elle s’est fixée dans l’arène mondiale.

Est-ce un hasard que cette coïncidence des nouvelles initiatives de la Turquie en direction de son proche voisinage avec la multiplication des actions meurtrières du PKK ? Ou bien est-ce le PKK qui surfe sur la colère que provoque chez les Kurdes les pressions répétées sur l’identité et les politiciens kurdes, pour rebondir, dans ce contexte ?
Quoi qu’il en soit, il ne sera pas facile d’être influente sur la scène internationale à une Turquie qui ne se serait pas réconciliée avec ses Kurdes, qui ne serait pas parvenue à garantir la paix civile sur la base d’un accord inédit. Le gouvernement Erdogan se retrouve au point où il doit faire converger une politique étrangère audacieuse et risquée avec une série de politiques en faveur d’une solution à la question kurde. En partageant la douleur de Furkan, il est dans l’obligation de faire un pas en direction des enfants kurdes du Sud-est du pays.
Sans démocratie, sans efforts tendant à la démocratie à l’intérieur, une politique étrangère affirmée est condamnée à rester bancale…

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Sources

Source : Radikal, le 12-06-2010

- Traduction pour TE : Marillac

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