Comme on pouvait s’y attendre, la Turquie a rejeté la Commission mise en place hier par Israël pour enquêter sur le raid mené par un commando israélien, le 31 mai dernier, contre le navire turc « Mavi Marmara » qui faisait partie de la flottille « Free Palestine ».
Sous la pression internationale et en particulier américaine, le gouvernement israélien a finalement annoncé, dimanche, la constitution d’une commission publique, « chargée d’enquêter sur les aspects relatifs à l’action entreprise par l’Etat d’Israël pour empêcher des navires d’atteindre les côtes de Gaza ». La présidence de cette instance a été confiée Yakov Tirkel, un ancien juge de la Cour suprême israélienne et le gouvernement de Benyamin Netanyahou a annoncé qu’elle serait ouverte à la participation de deux personnalités étrangères : Lord Trimble (l’ancien chef du parti unioniste d’Irlande du nord et prix Nobel de la paix en 1998) et Ken Watkin (un ancien avocat général de l’armée canadienne).
Toutefois, cette commission est loin de répondre à la demande formulée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, le 1er juin dernier, à l’issue de l’attaque israélienne qui a causé la mort de 9 militants humanitaires turcs (dont un turco-américain). Le Conseil de sécurité avait en effet proposé une commission impartiale composée d’Israéliens, de Turcs, d’Américains et présidé par un ancien premier ministre néo-zélandais, ce que le gouvernement israélien a refusé. Au regard du droit international, une telle commission paraissait pourtant particulièrement justifiée car, d’une part, l’attaque s’est produite dans les eaux internationales et il est donc difficile de considérer que les faits ne concernent que l’Etat hébreu, d’autre part, les autorités israéliennes ont accusé les humanitaires turcs embarqués à bord du « Mavi Marmara » d’avoir eu un comportement agressif envers leurs soldats et, dès lors, elles peuvent difficilement refuser à ceux qu’elles ont mis en cause d’avoir la possibilité de se défendre devant des observateurs impartiaux. Or, même ouverte à deux observateurs étrangers, la commission créée par Israël reste entièrement sous sa coupe et elle n’aura de surcroît qu’un mandat très limité.
Déniant à cette commission toute compétence pour enquêter dans le cas présent, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu (photo) a rappelé que « le crime avait été commis dans les eaux internationales, et pas dans les eaux territoriales israéliennes. » Il a considéré que l’instance imaginée par Israël serait à la fois juge et partie et, rappelant qu’une des victimes avait aussi la nationalité américaine, il a demandé aux Etats-Unis « de défendre le droit de leurs citoyens à la vie ». Le gouvernement américain a pourtant considéré, hier, que l’initiative israélienne constituait « un pas en avant important » et réclamé une enquête rapide.
La décision d’Israël de ne créer qu’une commission nationale ouverte à des étrangers et de refuser une véritable commission internationale devrait particulièrement gêner les gouvernements européens qui, après le drame du « Mavi Marmara » avaient reconnu le droit de la Turquie, membre de l’OTAN et candidate à l’UE, à une enquête impartiale. Il est vrai qu’une telle enquête a peu de chances de voir le jour, car le gouvernement israélien a exclu que ses soldats puissent être interrogés par des experts autres que ceux de sa propre armée, et il sait pertinemment que, tant au regard du droit international que des conditions dans lesquelles il s’est produit, son raid a peu de chances d’apparaître comme justifié.
Toutefois, le refus définitif d’Israël d’accepter de se soumettre à une enquête internationale risque d’aggraver encore son différend avec la Turquie. À cet égard, le chef de la diplomatie turque a rappelé que son pays « avait le droit de revoir les relations qu’il entretient avec Israël et de prendre des sanctions. » S’exprimant déjà sur la question, le 12 juin dernier, à l’occasion d’une interview publiée par le journal « Le Monde », le président Abdullah Gül n’a pas exclu que la détérioration des rapports entre la Turquie et l’Etat hébreu puissent même aller jusqu’à la rupture de leurs relations diplomatiques…
JM