Güler Zere, une militante d’extrême-gauche, qui purgeait une peine de prison alors qu’elle est atteinte d’un cancer en phase terminale, a été graciée par le Président de la République, Abdullah Gül, le 6 novembre 2009.
Güler Zere est membre à l’origine du DHKP-C (« Devrimci halk Kurtuluş Partisi-Cephe », Parti de libération du peuple révolutionnaire – Front), une organisation d’extrême gauche turque, connue jusqu’en 1994 sous le nom de « Dev-Sol » (gauche révolutionnaire), qui déclare se battre pour la libération de tous les peuples de Turquie (turc, kurde, arabe, laze, arménien…) et dispose d’une branche militaire qui a été à l’origine de plusieurs attentats dans les années 70, 80 et 90, ce qui lui vaut de figurer sur la liste des organisations terroristes des Etats-Unis et de l’Union Européenne. Cette organisation, plus récemment, était revenue à la une de l’actualité turque, en 2000, lorsqu’elle avait déclenché une grève de la faim de ses militants, nombreux dans les prisons turques, pour protester contre la mise en place d’un nouveau régime carcérale, comparable à celui des quartiers de haute sécurité en Europe et aux Etats-Unis, et prévoyant l’isolement des prisonniers considérés comme dangereux.
Pourtant aujourd’hui, Güler Zere apparaît moins comme une terroriste que comme l’une de ces enfants perdues de la guerre civile larvée qui s’est traduite, au cours des années 80 et 90, dans les départements du sud-est de la Turquie, par ce cycle implacable de violences et de répressions, dont l’affaire « Ergenekon » et celle des « puits de la mort » ont commencé à mettre à jour les aspects les plus noirs. D’origine kurde, Güler Zere avait été arrêtée, au milieu des années 90, alors qu’elle participait à une action de guérilla dans le Dersim (est de la Turquie), avant d’être condamnée à une peine de 34 ans de réclusion par la cour de sûreté de l’Etat de Malatya, une instance judiciaire d’exception qui a d’ailleurs disparue depuis. En 2008, l’administration pénitentiaire avait constaté que Güler Zere était atteinte d’un cancer du palais entré dans un stade avancé. Bien qu’elle ait alors subi plusieurs opérations et que les autorités turques assurent aujourd’hui qu’elle a bénéficié des meilleurs soins, son maintien en détention l’a empêché de bénéficier d’un cadre familial probablement plus favorable au traitement de ce genre de maladie. Son maintien en détention a provoqué, au cours des derniers mois, une importante mobilisation en Turquie d’ONG et d’associations humanitaires, demandant que Güler Zere soit remise en liberté et attirant plus généralement l’attention de l’opinion publique sur la situation souvent précaire des détenus politiques, qui sont encore nombreux dans les prisons turques.
Lors de l’un de ses derniers passages à Bruxelles, alors qu’il prononçait un discours, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu avait été interpelé par un groupe de sympathisants qui dénonçaient la lenteur de l’administration turque à prendre une décision dans le cas de Güler Zere. En effet, une possible libération pour la fin du mois d’août avait été initialement annoncée, mais tant l’inertie bureaucratique que les hésitations sur le choix de la procédure devant permettre la libération de Güler Zere (suspension de peine ou grâce), ont fait trainer les choses, provoquant, ces dernières semaines, une intensification des mouvements de protestation, non seulement à Istanbul (cf. photo d’une manifestation le 23 octobre 2009 sur Istiklâl Caddesi, à Istanbul), mais aussi dans des villes du sud-est (Elazığ, Malatya, Adana, Hatay…).
C’est le ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, en personne, qui a annoncé, le 5 novembre, à sa famille que Güler Zere serait prochainement graciée par le président Gül. Les organisations qui se sont mobilisées pour sa libération se sont bien sûr réjouies de la nouvelle, mais ont regretté qu’une telle décision n’ait pas été prise plus tôt. Trois autres détenus politiques, Nurettin Ateş, Şirin Aydin et Fehmi Akar, ont été également graciés par le président de la République, pour des raisons médicales et humanitaires, en même temps que Güler Zere.
JM