Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet
le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gul, ici en compagnie de son homologue autrichienne Ursula Plassnik, a fait savoir qu’il ne décollerait pas d’Ankara, lundi, avant de connaître le résultat des négociations entre Européens.
A quatre jours de l’ouverture des négociations avec la Turquie, la Grande-Bretagne a décidé hier de changer de tactique pour mieux neutraliser l’Autriche, seul pays européen qui bloque encore l’accord. La présidence britannique a indiqué qu’elle modifiait son programme de travail du week-end, ce qui n’a pas manqué d’agacer les Autrichiens. Prévue dimanche soir, la veille du jour « J » pour Ankara, la réunion sur la candidature de la Croatie, si décisive pour Vienne, a été reportée au lundi matin. L’Autriche, qui voulait marchander, sans le dire ouvertement, la Croatie contre la Turquie, se retrouve prise au piège. « La Grande-Bretagne veut pousser l’Autriche à négocier à ses conditions, explique un négociateur bruxellois. Mais c’est un jeu risqué, basé sur la pression psychologique, où Londres compte faire plier Vienne. » Cette guerre des nerfs rend l’ouverture des pourparlers avec Ankara incertaine jusqu’à la dernière minute.
La première manche se jouera dimanche à Luxembourg. Les ministres des Affaires étrangères de l’Union se retrouveront pour un dîner de travail consacré à la Turquie. La Croatie ne figurera pas au menu. Et pour cause : Carla Del Ponte, le procureur du Tribunal pénal international sur l’ex-Yougoslavie (voir ci-dessous), n’est conviée à présenter son rapport sur la coopération de Zagreb que le 3 octobre au matin. Les chefs de la diplomatie européenne seront uniquement appelés à se prononcer sur les documents relatifs à la Turquie : le cadre des négociations d’une part, et le texte de la déclaration politique qui sera lue le lendemain par le secrétaire au Foreign Office, Jack Straw, au nom de l’Union. Lors de ce dîner, la présidence espère que l’Autriche, isolée, lâchera prise. « La ministre autrichienne a un choix très simple : soit elle se rallie au point de vue des vingt-quatre autres États membres, soit elle prend le risque de tout bloquer en usant de son droit de veto », résume un ambassadeur.
A en croire le dernier tour de table diplomatique, hier, seule l’Autriche nourrit encore des réserves suffisamment sérieuses pour empêcher l’ouverture dès lundi des négociations avec la Turquie. Après avoir bataillé en marge, la France et Chypre ont fini par lever leurs dernières restrictions sur les documents de la présidence. « La France veut un processus clairement contrôlé », a affirmé à Paris le premier ministre Dominique de Villepin, ce qui ne remet pas en cause le début des pourparlers avec Ankara. « La France a fait beaucoup de brouhaha dans cette affaire. Mais au fond, elle ne veut pas bloquer l’ouverture des négociations », commente un diplomate.
Les Autrichiens, soumis à de fortes pressions internes, insistent encore pour modifier les termes du paragraphe clé sur la Turquie, agréé en décembre 2004 par les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Cinq. Ce texte assure que « l’objectif partagé » des négociations qui doivent s’ouvrir lundi est « l’adhésion » de la Turquie. Consciente qu’elle n’obtiendra pas des Britanniques la mention explicite d’un possible « partenariat privilégié » qui se substituerait à l’entrée dans l’Union, l’Autriche espère encore arracher la mention d’une « solution alternative » ou « intérimaire » à l’adhésion. Ces querelles de mots, qui irritent le gouvernement turc, Londres ne veut plus en entendre parler. « Il y a un moment où il faut dire stop. L’Europe ne peut pas revenir sur la parole donnée », indique-t-on à Londres, où Tony Blair a fait de l’ouverture des négociations une priorité de la présidence britannique. Devant tant d’incertitudes, le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gul, a fait savoir qu’il ne décollerait pas d’Ankara, lundi, avant de connaître le résultat des négociations entre Européens.