Pour Olli Rehn, un « climat politique négatif » plane sur les relations avec Ankara. « La Turquie qui adhérera sera une Turquie plus européenne et moderne », pense le commissaire. Qui espère ouvrir des négociations avec la Croatie.
ENTRETIEN
Je veux briser le cercle vicieux » dans lequel se sont enferrées les relations euro-turques. A quelques jours de l’ouverture des négociations d’adhésion avec Ankara, Olli Rehn regrette « le climat politique négatif » qui plane « en ce moment ». Difficile de nier cette atmosphère pesante, en effet, alors que les Européens avancent à reculons vers cette perspective, tiraillés entre les Etats enthousiastes, comme le Royaume-Uni ou la Belgique, et les pays sceptiques, tels l’Autriche, Chypre ou la France. « On a parfois l’impression que nous sommes ennemis, alors que nous sommes en fait partenaires depuis des décennies déjà », rappelle le commissaire en charge de l’Elargissement, dans un entretien accordé à quelques journalistes européens.
« Les relations entre l’Union et la Turquie sont dans un cercle vicieux », analyse-t-il. « Les rives du pont s’éloignent plus qu’elles ne se rapprochent, principalement parce que nous avons un débat politique en Europe qui laisse planer le doute sur la perspective d’adhésion » d’Ankara. L’Autriche tente encore d’obtenir de ses partenaires européens qu’ils inscrivent, dans le document destiné à encadrer les négociations euro-turques, une formule alternative à l’adhésion pleine et entière comme objectif final des pourparlers.
Cette attitude « érode la crédibilité du processus d’adhésion et donc les raisons de se donner la peine de faire les réformes nécessaires en Turquie. Ce qui à nouveau nourrit le débat européen, où la crédibilité de ses efforts est mise en doute », déplore Rehn. Aussi le Finlandais entend-il « créer un cercle plus vertueux, qui implique une perspective crédible d’adhésion, laquelle aidera alors les forces politiques qui veulent des réformes significatives en Turquie. Ce qui améliorera enfin la crédibilité des efforts euro-turcs au sein de l’opinion publique ». CQFD.
Pour l’heure, « je ne dis pas que la Turquie est parfaite. Il reste encore des défauts sérieux comparé aux normes européennes », note le commissaire. Mais « rien ne sera conclu le 3 octobre », date prévue d’ouverture des négociations. « Ce n’est que le début d’un processus, long et difficile », dont l’issue dans « 10 ou 15 ans » demeure par surcroît « ouverte », poursuit-il. Entamer les pourparlers « fournira un encouragement aux forces politiques pour s’attaquer aux lacunes et un levier à l’Union pour influencer les réformes en Turquie ».
Commencer avec Zagreb
Ce scénario n’empêche toutefois pas les « accidents de parcours », comme les qualifie Olli Rehn. L’adoption du nouveau code pénal turc, « qui porte la législation du droit des femmes au moins au niveau scandinave », n’a pas empêché la justice d’inculper l’écrivain Orhan Pamuk pour insulte à l’identité turque ni de suspendre une conférence sur le génocide arménien, qui n’a dû son salut qu’à un tour de passe-passe suggéré aux organisateurs par le gouvernement lui-même, « frustré comme nous des provocations qui minent le cas de la Turquie ».
De nouvelles réformes s’imposent donc. Liberté d’expression, droits des femmes, des minorités, des communautés religieuses non musulmanes seront passés au crible européen « très tôt ». Ankara « doit comprendre que cela n’est pas négociable ». « La Turquie qui adhérera (à l’Union) sera une Turquie très différente de celle d’aujourd’hui, une Turquie plus européenne et moderne, où l’Etat de droit et les droits de l’homme sont appliqués », pronostique le commissaire. Entre-temps, chacun des 25 Etats membres aura la possibilité de mettre 72 fois son veto lors des négociations, rappelle-t-il.
L’ouverture des pourparlers elle-même reste d’ailleurs sujette au risque d’une opposition. En coulisses, l’Autriche freine la Turquie pour mieux pousser la Croatie, bloquée aux portes de l’Union pour sa coopération insuffisante avec le Tribunal pénal international. Aujourd’hui, « on constate certains progrès dans l’éradication des réseaux de soutien au général Gotovina, la prise de conscience croissante des crimes de guerre et le début de la réorganisation des services de sécurité », égrène Olli Rehn. « J’espère certainement qu’on pourra entamer prochainement les négociations » avec Zagreb. Eventuellement même le 3 octobre si le rapport fourni dimanche par la procureure Carla Del Ponte se révèle favorable. « Théoriquement, on peut commencer le jour où la pleine coopération est reconnue unanimement par les 25 Etats membres. »
© La Libre Belgique 2005