En plaidant pour un simple partenariat avec la Turquie, Sarkozy isole le Président de la majorité des Français.
Une telle constance est inhabituelle chez lui. Seul contre tous à droite, et malgré l’hostilité d’une large majorité de Français, Jacques Chirac continue à soutenir le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Pas une voix dans son camp n’ose se mouiller trop ouvertement pour relayer le point de vue présidentiel. Même Dominique de Villepin a semblé prendre ses distances cet été avec la ligne élyséenne... avant de revenir dans le droit chemin. Lorsqu’on les interroge sur la Turquie, les ministres chiraquiens baissent les yeux et répondent par une pirouette. L’UMP de Nicolas Sarkozy n’a pas de telles réticences. Au contraire.
Le ministre de l’Intérieur a tout de suite senti que l’affaire turque était une aubaine pour lui. Depuis un an, il n’en finit pas d’exploiter le filon pour créer une cassure entre le chef de l’Etat et l’opinion. Le président de l’UMP a même été jusqu’à demander à ses troupes de réapprouver un vote exprimant l’hostilité du parti à l’entrée de la Turquie en Europe, pourtant acquis à l’époque où le chiraquien Alain Juppé présidait la formation. Par tactique plus que par conviction, il avait lui-même pris ses distances avec Jacques Chirac sur le sujet. Le week-end dernier encore, l’UMP a tenu une grande convention à Paris sur le thème de l’Europe, dans le seul but de rappeler à quel point le parti est hostile à l’ouverture de négociations avec Ankara. La violence des attaques contre la position défendue par le chef de l’Etat a été telle que la ministre des Affaires européennes, Catherine Colonna, a renoncé à venir prononcer son discours. Nicolas Sarkozy a de nouveau plaidé en faveur d’un simple « partenariat stratégique » avec la Turquie. « Cela n’a pas de sens », réplique-t-on à l’Elysée. En début de semaine, une cinquantaine de députés UMP rendait publique une lettre adressée à Chirac pour lui signifier leur « très vive réticence, voire une sincère aversion, à l’idée même de l’ouverture des négociations » avec les autorités turques.
A droite, certains voient dans l’obstination de Chirac à aller à rebrousse-poil des Français sur un sujet aussi sensible la preuve qu’il ne se représentera pas en 2007. Pourtant, le Président ne manque jamais de rappeler que l’entrée de la Turquie dans l’UE est loin d’être acquise. Comme s’il s’agissait paradoxalement de signifier que le très long processus d’adhésion a peu de chances d’aboutir. Et Chirac de répéter que les Français auront « le dernier mot », puisque la Constitution prévoit désormais que tout nouvel élargissement après la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie sera soumis à leur approbation par référendum. Un ultime argument que le meilleur ennemi de Chirac, Valéry Giscard d’Estaing, s’est fait une joie de démolir la semaine dernière : « On promet aux Français qu’ils conserveront le pouvoir de dire non. Mais, avec le bon sens cher à Descartes, nos compatriotes se disent que jamais la France n’aura le poids suffisant pour s’opposer, à l’issue de dix ou quinze ans de négociations et de concessions mutuelles, à l’entrée de la Turquie. »