La Commission européenne s’est voulu rassurante, mercredi 29 juin, concernant les négociations d’adhésion avec la Turquie, prévues pour octobre. Mais si elle voulait rassurer la Turquie, il lui fallait aussi ne pas inquiéter les opinions réticentes des Etats membres de l’UE. Ainsi, déployant un luxe de précautions, la Commission a lourdement insisté sur le fait que le lancement des pourparlers n’offrait à Ankara aucune garantie effective d’entrée. « L’objectif partagé des négociations est l’adhésion. Ces négociations se dérouleront selon un processus ouvert dont le résultat ne peut être garanti avant terme », souligne le « cadre » adopté par Bruxelles pour la tenue des futurs pourparlers. Afin de bien faire passer le message, l’exécutif communautaire a également rappelé que les discussions pourraient être interrompues en cas d’incartade turque au respect des valeurs de l’UE. « C’est le cadre de négociations le plus rigoureux qui ait jamais été adopté », a fait valoir le commissaire à l’Elargissement Olli Rehn, en présentant le document qui sera soumis le 18 juillet à l’aval des ministres européens des Affaires étrangères.
Aucune des conditions posées à Ankara n’est nouvelle. Toutes figuraient mot pour mot dès octobre 2004 dans l’avis favorable à l’ouverture des négociations rendu à l’époque par l’ancienne Commission Prodi. C’est sur la base de cet avis que les chefs d’Etat et de gouvernement des 25 avaient retenu deux mois plus tard la date du 3 octobre 2005 pour lancer les pourparlers.
Se voulant optimiste, M. Rehn a assuré qu’il n’avait « aucune raison de penser que les dirigeants de l’UE ne tiendront pas leur parole ». Il a réaffirmé sa conviction qu’« il est dans l’intérêt de l’Europe d’avoir une Turquie stable, démocratique et prospère, qui adopte et mette en œuvre les valeurs, les politiques et les normes de l’UE ». Il a aussi estimé que « l’ouverture des négociations d’adhésion est une reconnaissance des réformes déjà accomplies en Turquie ». Le commissaire s’est toutefois empressé de souligner que la route d’Ankara « sera longue et difficile » d’ici à une adhésion qui ne saurait intervenir avant au moins une dizaine d’années et qu’il fallait « prendre en compte les préoccupations des citoyens ».
LE DÉBAT « DES MOIS ET DES ANNÉES À VENIR »
Bruxelles prévoit d’ailleurs d’allouer 40 millions d’euros l’an prochain à des actions de « dialogue des sociétés civiles » (jumelages, etc) pour expliquer l’élargissement vers la Croatie et la Turquie. La remise au goût du jour de l’ensemble des conditions posées à la Turquie est intimement liée au réveil du débat sur l’élargissement consécutif à la victoire du non à la Constitution en France et aux Pays-Bas. A deux reprises en dix jours, le numéro deux du gouvernement français Nicolas Sarkozy, président du parti majoritaire UMP et candidat potentiel à la succession du président Jacques Chirac, a réclamé de « suspendre l’élargissement » après l’entrée de la Roumanie et la Bulgarie en 2007.
En Allemagne, l’opposition chrétienne-démocrate, bien placée pour évincer du pouvoir à l’automne le chancelier Gerhard Schröder, milite aussi contre l’adhésion turque et pour un simple « partenariat privilégié » avec Ankara. Le scénario a été évoqué mercredi au sein même de la Commission par certains membres émanant des rangs conservateurs, selon des sources concordantes. Au final, le cadre de négociations adopté par Bruxelles réaffirme seulement la nécessité « d’assurer que la Turquie sera pleinement ancrée dans les structures européennes par le lien le plus fort », si elle n’est « pas en mesure » d’adhérer. Néanmoins, « c’est un fait que le partenariat privilégié fera partie du débat politique dans les mois et les années à venir », a concédé Olli Rehn.