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Turquie : au petit jeu du Caucase

mercredi 20 août 2008, par Marillac

La chose est entendue depuis fort longtemps. Mais elle ne manque jamais d’étonner en cela qu’elle est capable de relier des géographies qui ne sont pas forcément voisines. Magie des rapports de force, des continuités historiques et des nécessités stratégiques, l’arc de crise qui borde le midi des espaces russes réels ou rêvés sait souvent se porter au rouge sur toute la longueur de sa faille.

On notait en 2004 la coïncidence des questions chypriote et adjare, deux provinces liées dans l’histoire à la rivalité des empires russe et britannique en périphérie de « l’homme malade ». En 2008, la liste s’allonge :
- lancement de la ligne de chemin de fer turco-géorgo- azérie (24 juillet)
- relance des négociations de paix à Chypre ( 3 septembre)
- entrevues discrètes des diplomaties turque et arménienne (printemps 2008)
- match de foot Arménie – Turquie en septembre ( 6 septembre)
- visite du président iranien en Turquie (15 août)

+ guerre géorgo – russe (août 2008)

Simple coïncidence ? Avec des tels acteurs et de tels diplomates, difficile à imaginer.

Les enjeux sont complexes, multiples et multi-dimensionnels : énergie, couloirs d’approvisionnement, influences diverses, Moyen-Orient, Caucase, Asie centrale.
Pour simplifier et envisager une première clef de lecture, on en revient toujours à une élémentaire géométrie. En croix. Au nord la Russie et son permanent tropisme méridional en direction, dans la région, de l’Arménie puis de l’Iran. A l’Ouest, les Etats-Unis bien évidemment, mais aussi la Turquie puis sur les anciens espaces russes, la Géorgie et l’Azerbaïdjan.

Les moyens : à l’ouest, stabiliser et renforcer un couloir Est-Ouest d’approvisionnement échappant à la plate-forme russe et permettant par la même occasion d’en contenir l’expansion méridionale.

A l’est, déstabiliser ou maintenir dans l’instabilité certaines périphéries (de la Transnistrie à l’Ossétie) pour favoriser l’hégémonie russe, notamment énergétique.

La riposte russe à la maladroite manœuvre de Tbilissi laisse entendre qu’il ne s’agit plus de ratiocinations de militaires en retraite improvisés professeurs de stratégie mais d’un jeu terrible sur des enjeux vitaux ou considérés comme tels.
La partie qui se jouait sous la table depuis des années se joue désormais ouvertement : elle ne fait que commencer.

Or au premier rang des acteurs se tient une Turquie qui bien qu’accaparée par son chaos intime n’a pas manqué de saisir qu’elle avait perdu la main sur une partie de sa périphérie la plus proche. La Russie d’un Poutine dont le pouvoir s’est construit dans cette même région est brutalement de retour. Que chacun se le tienne pour dit : personne ne peut jouer impunément dans le jardin de l’ours moscovite.

Le fait que le Kremlin n’ait pas daigné répondre à plusieurs sollicitations téléphoniques des responsables turcs durant les jours qui suivirent les premiers combats en dit long sur les intentions russes. Au jeu de la terreur, Ankara ne pouvait pas l’emporter.

Relevons trois points :

- Il serait intéressant de demander aujourd’hui leur avis à tous ceux qui, en Turquie, proposent depuis des années une alliance turco-russe (voire iranienne) comme alternative à cette maudite UE trop insistante sur la question des droits de l’homme. Quelle alliance possible entre d’aussi évidentes stratégies impériales ou impérialistes ?

- Idem en ce qui concerne les experts de l’Asie centrale ou du Moyen-Orient qui voudraient y renvoyer la Turquie à ses moutons et autres chameaux de Bactriane… La crise actuelle permet-elle de mesurer l’ampleur des conséquences d’éventuels affrontements impérialistes le long de cet arc de crise qui court depuis l’Afghanistan jusqu’au Kosovo en passant par la Moldavie et Chypre ?

- Si au jeu de la terreur, Ankara ne peut pas jouer aujourd’hui, il lui reste les cartes majeures de la « guerre » diplomatique.
C’est même en cela qu’on peut se poser la question de savoir si la riposte russe ne constitue pas une mesure préventive à l’utilisation de ces cartes diplomatiques.
Aujourd’hui, un certain manque d’imagination et de hâte ont fait ressortir à Ankara les plans d’une union du Caucase proposée dix ans plus tôt par le président turc Demirel. Or pourquoi proposer de négocier lorsqu’on vient de perdre la main ? Ne mesure-t-on pas à qui servira une telle union ? Le gouvernement turc cherche ici sans doute à voiler quelque insuffisance.

Or au cœur du dispositif russe de déstabilisation russe dans le Caucase se tient aux portes de l’Iran et aux frontières de chacun des Etats de la région, un pays qui a trop longtemps fait les frais de cette position : l’Arménie.

Le lancement d’un processus de réconciliation turco-arménienne constituerait à coup sûr la réponse la plus appropriée et la plus forte au coup de force russe en Géorgie : elle serait la base possible d’une « autre » union du Caucase.

Les spéculations vont aujourd’hui bon train sur les possibles suites à donner à une éventuelle visite du Président Gül en Arménie à l’occasion de la rencontre de football Arménie – Turquie (6 septembre) dans le cadre des phases qualificatives au Mondial 2010.
Une invitation a été lancée par la Présidence arménienne. La réponse turque risque de se faire attendre jusque dans les derniers jours : comme la paix est toujours plus délicate que la guerre, elle est la proie de toutes sortes de provocations.

En tout état de cause, il est évident qu’une éventuelle rencontre Gül – Sarkissian ne saurait tout au plus n’être qu’une première étape strictement symbolique. Mais elle constituerait la réponse la plus forte à un impérialisme russe réaffirmé dans la région : réconciliation difficile en cela qu’elle serait le fruit d’une « guerre » diplomatique.

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