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Obama, Erdogan, Sarkozy … et l’Europe

mardi 21 avril 2009, par Marie-Antide

Comme au théâtre, observons le déroulement de l’intrigue et le jeu des acteurs.

Acte 1 : le Premier Ministre turc Erdogan menace de mettre son véto à la candidature du Premier Ministre danois Anders Fogh Rasmussen au poste de Secrétaire Général de l’Otan. Le motif invoqué est que ce dernier a défendu la publication des caricatures sur Mahomet en 2005, caricatures controversées qui avaient provoqué l’ire du monde musulman. Quelques intenses tractations diplomatiques plus tard, Recep Tayip Erdogan ne s’oppose plus à la nomination de Rasmussen, ayant obtenu la garantie du Président Obama que le futur Secrétaire Général de l’OTAN favorisera le dialogue avec le monde musulman.

Acte 2 : Dimanche 5 Avril, le Président Obama se déclare en faveur de l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne lors du sommet de Prague. Position classique de la diplomatie américaine à l’égard de son allié turc : à la veille d’un sommet de l’OTAN à Istanbul en Juin 2004, Bush avait déclaré « je rappellerai au peuple turc qu’il mérite que l’Europe lui donne une date pour son entrée dans l’UE ».

Acte 3 : suite à la déclaration d’Obama, le Président Sarkozy s’empresse de prendre le contrepied de son homologue américain : « j’ai toujours été opposé à cette entrée et je le reste ». Une grande partie de la classe politique française dénonce l’ingérence américaine sans forcément affirmer son opposition au projet d’intégration. Position classique de la politique française : en juin 2004, Jacques Chirac avait estimé que Georges Bush avait été trop loin.

Acte 4 : Lundi 6 Avril, dans son allocution devant la Grande Assemblée Nationale de Turquie, le Président Obama réitère son soutien inconditionnel à l’intégration de la Turquie dans l’Union et annonce une nouvelle ère de coopération avec le monde musulman.

Au cours de ces actes, chacun joue son rôle en fonction de son caractère et des enjeux qui le motivent :

- Barack Hussein Obama est un passionné de basketball, qu’il pratique jusque dans la Maison Blanche. Or quelle est la position-clé d’une équipe de basket pour garantir son succès ? Le pivot, joueur souvent plus grand et plus lourd que les autres, placé le plus près du panier.
Barack Obama a lancé une nouvelle stratégie au Moyen Orient qui se résume en trois axes : retrait des troupes américaines d’Irak, stabilisation de l’Afghanistan et main tendue à l’Iran en vue de l’arrêt de son programme nucléaire. Pour réussir le retrait d’Irak, les troupes américaines ont besoin d’utiliser le territoire turc ; pour convaincre l’Iran, Obama a besoin de la diplomatie turque … qui à ce jour s’est bien gardée de condamner la politique nucléaire de son puissant voisin. Obama a donc besoin que la Turquie accepte de jouer le rôle de pivot de sa nouvelle stratégie au Moyen-Orient. Tous ses discours, y compris son soutien au projet d’intégration à l’UE, participent donc à la convaincre de rentrer dans ce jeu.

- Recep Tayip Erdogan est un pragmatique teigneux et rusé. Il avance de deux pas, quitte à reculer aussitôt d’un seul si la pression est trop forte. Sa ligne de mire est de faire de la Turquie un acteur de premier plan de la scène mondiale, donc un pays qui s’exprime et avec lequel il faut compter. L’affaire Rasmussen, qui a tellement agacé nombre d’Européens, s’inscrit dans cette stratégie, comme la médiation turque menée entre la Syrie et Israël, le développement de relations privilégiées avec l’Iran (au grand dam de George Bush), le clash de Davos … Erdogan sait que la position stratégique de la Turquie est son meilleur atout, au carrefour de l’Europe, du Caucase et du Proche-Orient.

- Nicolas Sarkozy est un pragmatique hyperactif et « court-termiste », fervent pro-américain au point de faire rentrer la France dans l’OTAN, sans véritable débat national. Les déclarations d’Obama sur la Turquie lui ont donné une excellente opportunité pour se démarquer (enfin !) des USA et de son charismatique Président qui lui avait si facilement volé la vedette lors des derniers sommets internationaux.

Reste l’Europe, dont la personnalité politique reste encore à affirmer sur la scène internationale. Avec ses 27 pays et 500 millions d’habitants, elle peine à exister du fait de divergences de fond entre ses membres. Union à la population vieillissante, consciente d’être un havre de paix dans la jungle mondiale, elle a besoin de temps et d’hommes politiques visionnaires pour s’affirmer comme une puissance politique.

En attendant cet avènement, il continuera de ne rien en coûter aux Américains de l’utiliser comme un faire-valoir de leur politique étrangère auprès de leurs alliés, comme Obama vient de le faire auprès la Turquie.

Le dénouement de l’intrigue ?

Il reste à écrire et cela prendre quelques années mais le soutien d’Obama au projet d’adhésion de la Turquie a déclenché beaucoup d’émotions. Peut-être parce que « l’Europe craint presque autant d’ouvrir la porte à 70 millions de Turcs que de la fermer à une puissance montante de la Méditerranée » (Laure Marchand, Ouest France, 08/04).

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