Nicolas Sarkozy a invité la Turquie dans la campagne des élections européennes en relançant la polémique sur les frontières de l’Europe lors de son discours prononcé à Nîmes le 5 mai dernier. Partisans et opposants au processus d’intégration de ce pays dans l’Europe, de de Villiers à Benoît Hamon en passant par les François (Bayrou, Hollande et Fillon), tous se sont emparés de ce sujet, l’un des rares capables de donner un peu de reliefs à une campagne qui ressemble à une morne plaine.
La Turquie n’en demandait pas tant. D’ailleurs elle ne demandait rien du tout.
Laconique communiqué de l’Elysée hier : pour des raisons d’agenda, le voyage en Suède du Président de la République prévu le 2 Juin prochain est annulé et reporté au 3 Juillet. L’information tombe sur le site de l’Express : le Président de la République n’a pas du tout apprécié l’interview du ministre suédois des Affaires étrangères, dont le pays prend la présidence de l’Union au 1er Juillet.
Dans une interview publiée par le Figaro du 25 Mai, Carl Bildt déclare notamment que « L’Europe a un intérêt stratégique de premier ordre à ce que la Turquie s’oriente vers elle ». Puis il continue : « Tous les élargissements ont suscité des craintes et des oppositions. Ils ont tous été un succès […] Pour peser dans le monde, il vaut mieux être l’Union européenne que l’Union d’une partie de l’Europe. Dans les décennies à venir, nous aurons besoin du dynamisme économique et démographique de la Turquie. Avec la Turquie, l’Europe peut être un facteur significatif de réconciliation avec le monde musulman ».
Nicolas Sarkozy, chef de l’UMP en 2005, ne désavoue pas Jacques Chirac quand celui-ci donne son accord pour l’ouverture du processus d’intégration de la Turquie dans l’UE.
Nicolas Sarkozy, candidat puis président de la République, déclare : « Si la Turquie était en Europe, cela se saurait ».
Nicolas Sarkozy, président de l’Union Européenne, approuve l’ouverture de 2 chapitres contribuant ainsi à l’avancée de l’intégration de la Turquie dans l’UE. Pourtant en cas de profond désaccord, la législation européenne prévoit la possibilité pour tout Etat membre de mettre son véto à l’intégration d’un nouveau pays. De plus, en Juillet 2008, le verrou référendaire saute lors de la révision de la Constitution française.
Nicolas Sarkozy, président de la République et homme politique à la veille d’une élection rendue délicate par la crise économique et la forte abstention annoncée, lance l’idée d’un « espace économique et de sécurité commun » pour ce grand pays « qui n’a pas vocation à devenir membre de l’Union Européenne ».
Sur la scène européenne ou sur la scène nationale, Nicolas Sarkozy n’a donc pas le même discours. Sur les deux scènes, il invite la Turquie mais lui confère des rôles différents. Sur la première, la Turquie est une puissance régionale avec laquelle il discute ; sur la seconde, la Turquie est un argument électoral qu’il utilise pour mobiliser un électorat tendu et inquiet face à l’avenir.
Le confort de sa position est évident : l’intégration de la Turquie n’est pas envisagée avant 10 ou 15 ans, seuls 10 chapitres sur 35 sont ouverts et les autres sont l’objet de lourds différends (Chypre, …). A cet horizon, Sarkozy ne sera plus là pour décider. En attendant, il a donc tout intérêt … à ne pas prendre de décision. Ses multiples propositions (Union méditerranéenne, espace économique et de sécurité) sont ainsi de faux projets destinés à occuper l’espace temps de l’opinion publique.
A Stockholm, face à une équipe résolument engagée au côté de l’intégration de la Turquie, ce double et creux langage risquait d’imploser au grand jour et sa position serait donc devenue intenable. En période électorale, c’était trop dangereux. Voilà.
En attendant qu’un débat de fond ait lieu un jour en France et pendant que nous observons les contorsions du président, le monde tourne. Et l’Union européenne, boudée en France où l’abstention au vote du 7 Juin s’annonce massive, ouvre un centre d’information à Sanliurfa destiné à informer les habitants sur ses institutions et son fonctionnement. Sanliurfa est une ville d’un million d’habitants, située dans le sud est de la Turquie, à quelques kilomètres de la frontière syrienne.