« Mustafa » est un docu-fiction sur la vie de Mustafa Kemal Atatürk, le plus grand succès pour un documentaire dans l’histoire du cinéma turc à ce jour et qui fait l’objet de diverses polémiques dans le pays depuis sa sortie en octobre dernier.
J’utilise le terme « docu-fiction » car le réalisateur a choisi de faire figurer un Mustafa Kemal adulte joué par un acteur, le visage n’étant jamais en gros plan et restant muet jusqu’à la fin du film. Un docu-fiction pourtant car des scènes de fiction viennent commenter et faire avancer l’intrigue comme il est d’usage dans ce type de films. Personnellement, ce n’est pas un genre qui me fascine, alors qu’il est largement plébiscité par les amateurs de programmes télévisés, parce qu’il utilise un mélange de genres oscillant sans cesse entre la re-création d’événements et l’utilisation d’images d’archives plus vraies que nature, ce qui rend l’impact chez un spectateur critique comme je peux l’être, beaucoup moins fort. Bien sûr, nous ne disposons pas d’images d’archives extrêmement nombreuses sur la région de Salonique à la fin du 19e siècle mais cela n’a pas empêché un certain M. Claude Lanzmann de nous offrir un des plus beaux documentaires qui ait jamais existé avec l’utilisation d’images contemporaines pour son « Shoah » qui renvoient vers une réalité toute autre et arrive à faire resurgir les images hideuses du passé qu’il prétend évoquer pour nous.
Le film débute au Palais de Dolmabahçe, dans la chambre de l’homme dont on sait qu’il va mourir dans quelques heures. Il confie à son aide de camp qu’il aimerait pouvoir entrer dans le tableau qui lui fait face, une peinture bucolique qui lui rappelle un paysage de son enfance. A partir de là, le tableau s’anime et nous découvrons un Mustafa Kemal de 8 ans qui nous guide sur le chemin de sa vie. D’où le titre du film probablement, non pas une ostentatoire familiarité, mais simplement la mise en avant d’une idée simple et commune : même un grand homme qui a fait l’histoire reste un petit enfant, y compris au seuil de la mort.
Hum. Simpliste, non ?
Malheureusement, avec toute cette publicité polémique, on s’attend surtout à un film qui dérange, qui montre des scènes et des discours inédits (certes il y en quelques-uns heureusement), qui démythifie le personnage tant mythifié et l’on est obligé de repartir bredouille. Que Kemal Atatürk buvait beaucoup et aimait faire la fête, on le savait déjà. Là, comme ailleurs, il est des silences troublants. Il est même quelques images curieuses, qui laissent un goût amer d’incertitude, avec ces dizaines de morts le long d’une route anatolienne (images dont on ne sait pas d’où elles sont extraites) et une voix-off lisant des lettres de Kemal, qui a contemplé lui aussi d’autres morts (mais il indique « un homme », « deux morts » et non pas des dizaines) abattus par la famine et la fatigue. Pourtant, Can Dündar a eu accès à des sources extrêmement rares et précieuses, des cahiers intimes écrites par le personnage et conservés par l’Etat-Major, hélas écrits qui ne sont toujours pas publiés mais extraits et purgés bien souvent. Il nous trace un portrait qui met l’accent sur l’homme et expurge de son film les épisodes sujets à polémique.
Un rendez-vous hélas manqué.