C’est l’un des grands noms de la sociologie religieuse, Max Weber, qui devait établir le rapport existant entre le Protestantisme et le développement du capitalisme. En Inde à cause du Bouddhisme, en Chine pour le Confucianisme et au Moyen-Orient à cause de l’Islam, une économie moderne n’aurait pas pu voir le jour, on n’aurait pas pu aller au-delà d’un « artisanat médiéval ».
Tout cela parce que, d’après Weber, ces religions ne se montraient pas favorables à la rationalisation dans un sens pratique, c’est-à-dire en fait à tous les processus de rationalisation que nécessite l’économie moderne, à savoir « le calcul, la productivité, le gain et la gestion de capital ». Par exemple, l’Islam n’était qu’une « religion de guerriers » et n’insistait que sur le butin pas sur la production.
Le plus grand nom de la sociologie wéberienne chez nous, le professeur Sabri Ülgener avait critiqué son maître : au cours de l’histoire, il fut des époques durant lesquelles le commerce en terre d’Islam devait connaître des phases d’expansion de grande ampleur et le Prophète lui-même devait inciter au développement commercial comme s’opposer à l’intervention publique dans ces processus. Par contre dans les siècles de récession, c’est une mentalité médiévale qui devait s’imposer avec tout ce qui s’ensuit : les activités commerciales dénigrées, l’accumulation du capital entravée, les investisseurs envolés.
La religion, mais quels croyants ?
La critique du professeur Ülgener s’est avérée fondée : et aujourd’hui en rentrant dans l’ère de l’économie de marché, les capitalismes indien et chinois se développent rapidement !
En Turquie, parallèlement à l’économie de marché encore, c’est toute une nouvelle classe moyenne d’entrepreneurs « économiquement rationnels » mais aussi porteurs de valeurs religieuses qui monte rapidement en puissance ; groupe auquel on donne les noms suivants : Tigres d’Anatolie, Calvinistes musulmans, Müsiad (groupement patronal « musulman », ndlr), capital conservateur...
Et cette analyse dont nous parlons aujourd’hui, elle devait être formulée quelques 10 ans plus tôt par le professeur Ahmet Güner Sayar, un disciple de M. Ülgener !
Chaque religion fut par le passé une religion de nomades, de paysans, de guerriers, de féodaux puis d’artisans. La mutation du Christianisme en religion d’une classe moyenne d’entrepreneurs ne commence qu’avec le Protestantisme. Les racines de son intérêt pour le développement économique se tiennent précisément ici. Quant à ce qui est de l’Islam, c’est en Turquie qu’il devient pour la première fois la religion d’une classe cultivée d’entrepreneurs ! Ce qui ne correspond pas à un retour vers le moyen-âge, ou à une quelconque « réaction », mais plutôt à une processus de renouveau.
Et voilà le passage du voile paysan ou provincial au turban moderne dont on organise même des défilés...L’éducation, l’investissement, les sociétés, l’exportation et des goûts à la fois bourgeois et « religieux »... La réorientation, en politique, de « l’Union Islamique » vers l’Union Européenne...
D’une façon ou d’une autre, ce processus contribue à diversifier et à élargir l’éventail de la religiosité.
Des facteurs sociologiques
Si l’on considère les ressemblances sociologiques, on utilise des termes comme « Musulmans protestants ou calvinistes ». Mais comme ces termes relèvent d’orientations religieuses chrétiennes, de telles appellations soulèvent la réprobation des musulmans.
Pour ne pas prêter le flanc à des contre sens, à dire vrai les « religieux » utilisent aussi leurs propres termes : on parle alors de renouveau en Islam.
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Le fait que des femmes aient prié la tête découverte ? C’est un événement marginal. Dans chaque religion existe une bien-séance et des pratiques auxquelles il faut se plier. Mais il est également faux d’insulter ceux qui expriment leur foi selon des schémas différents. Autrefois, ces diverses appréciations ou approches de la foi pouvaient s’exprimer librement dans le cadre des multiples confréries.
© Milliyet, le 28/01/2006