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Submergée par les requêtes

La Cour européenne victime de son succès

jeudi 19 mai 2005

Le Figaro 18 mai 2005

Elle est, dit-on, l’organe le plus performant du Conseil de l’Europe et, à l’heure actuelle, le seul en mesure de résister aux « visées expansionnistes » de l’UE en matière institutionnelle. Autorisée à recevoir de plein droit des requêtes étatiques aussi bien qu’individuelles, la Cour européenne des droits de l’homme est l’une des rares juridictions internationales en mesure de protéger un particulier contre son propre Etat. Elle est aussi le seul instrument international prévoyant un suivi systématique des arrêts prononcés.

Une feuille de papier sans en-tête suffit pour porter plainte. Victime de son succès, elle est aujourd’hui submergée de requêtes : plus de 30 000 en 2002, 44 000 l’an dernier ! Nul ne s’y attendait. En 1950, lorsque la Convention européenne des droits de l’homme est adoptée et avec elle son « bras armé », la Cour européenne, l’arbitrage interétatique constitue encore la voie royale. Au tournant des années 90, avec l’élargissement du Conseil de l’Europe aux pays d’Europe de l’Est, le scénario s’inverse. Les requêtes de particuliers déferlent de Russie, d’Ukraine ou des républiques du Caucase.

Les jugements, en principe contraignants, pèseront plus ou moins lourd sur les Etats en délicatesse avec les droits de l’homme. L’exemple de la Turquie, régulièrement condamnée depuis son adhésion au Conseil de l’Europe, s’avère relativement édifiant même si les arrêts rendus par la Cour ont mis souvent plusieurs années avant d’être exécutés. Ankara, reconnaît-on à Strasbourg, « a accompli des progrès considérables ». La perspective d’une adhésion à l’Union européenne a, il est vrai, largement contribué à accélérer le processus de réformes engagé par les autorités turques.

Si Ankara a accepté de jouer le jeu, la Russie, a contrario, n’admet toujours pas qu’on lui fasse la leçon. « La Cour européenne n’y est pour rien, explique un expert. Cela relève de la responsabilité des Etats occidentaux qui souhaitent ménager la Russie et le font savoir au Comité des ministres du Conseil de l’Europe. »

L’outil mis en place il y a cinquante ans n’est de toute façon plus adapté. Les projections les plus récentes montrent que le flux des requêtes devrait continuer à s’amplifier, menaçant l’efficacité du système. La Cour, qui ne rendait que 177 arrêts en 1999, en a rendu 734 en 2004. Plus de 90% des requêtes sont irrecevables, « mais il faut quand même les gérer », souligne un responsable.

Adopté il y a deux ans, le protocole 14, qui devrait entrer en vigueur en mai 2006, prévoit toute une série de dispositions visant à filtrer les requêtes, simplifier les procédures, mettre en place de nouveaux critères de recevabilité pour désengorger l’institution. Ce ne sera sans doute pas suffisant. Selon un expert, « le robinet des requêtes ne pourra être freiné qu’au niveau national ». Condamnée à se réformer, la Cour européenne des droits de l’homme est confrontée à un véritable casse-tête : relever les nouveaux défis qui résultent de sa dimension paneuropéenne sans altérer sa philosophie.

A. T.

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