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Turquie - UE : entre buzz et temps long

mercredi 4 juin 2008, par Marillac

Faut-il encore commenter l’actualité euro et surtout franco-turque ?
Tout laisse à penser qu’un tel exercice n’a finalement pas plus de portée que le rituel d’un bulletin météo dominical. La faute à quoi ? A une sorte de girouettisme très sarkozyen qui non content de méduser sa majorité n’en finit plus de sidérer les diplomates du monde entier.

Bachar El- Assad en rit encore.

Alors commenter l’énième giration survenue sur le dossier d’une révision constitutionnelle marquée par le fait turc ne nous inspire plus même la moindre once de motivation : la fronde des frondeurs de l’UMP menée tambour battant par Richard Mallié, député des Bouches du Rhône, sur la très hypocrite et improbable nécessité de « consulter les Français pour tout élargissement de l’UE à un pays excédant les 5 % de population de l’ensemble » semble si frappée du sceau du bon sens qu’elle nous laisse bouche bée.

Créée sous une autre formulation par un Jacques Chirac soucieux de donner le change à une majorité et une opinion rétives à l’adhésion turque, cette disposition permet à demi-mot de rassurer un certain électorat sur la bien nécessaire dose d’anti-Turquie à placer dans son discours.

Mais qui peut croire qu’une telle disposition soit un jour d’une quelconque utilité ? Qui peut croire aujourd’hui qu’elle ait un sens autre que celui de l’habile manipulation d’une certaine opinion ?

Le gouvernement français sous lequel cette consultation aura lieu sera également celui qui, au niveau européen, aura décidé et voté la fin du processus de négociations. Il sera donc confronté au choix suivant :

- Soit ne pas accepter la fin des négociations et alors la question d’une telle consultation ne se pose plus.

- Soit les accepter, signer le traité d’adhésion et aller au devant des électeurs pour le faire ratifier en soutenant la cohérence et le choix de l’adhésion. Mais quel gouvernement accepterait de jouer sa crédibilité sur un tel sujet avec les risques de dérive populiste que ne manquerait pas d’entraîner un tel débat ?

Visionnaires européens

Nous sommes donc ici en pleine politique fiction. Mais aussi en pleine anticipation : car qui peut aujourd’hui sérieusement affirmer que la Turquie intègrera l’UE d’ici la fin de la décennie, voire même d’ici la fin de la suivante ?

En 2004, Berlusconi, très inspiré, annonçait une adhésion turque dès 2007. Chaque jour, Sarkozy confond Turquie et Cappadoce. Ces gens-là parlent de l’avenir sans voir plus loin que demain matin. Laissons les donc bricoler les textes au nom des générations futures si le spectacle de leur grandiloquence peut encore charmer quelques oreilles.

***

Non, l’essentiel n’est pas ce qui peut se raconter en Europe ou entre certains députés UMP. Mais bien de tenter de comprendre les mutations à l’œuvre en Turquie.

Car ce sont ces mêmes mutations qui, in fine, rendront les discours des bricoleurs européens complètement vains et creux lorsque la question de l’adhésion se posera vraiment dans des termes cette fois très différents de leur formulation populiste actuelle.

Les mutations turques en cours se traduisent par autant de crises, d’avancées, de reculs et de contradictions sociales exacerbées. En très peu de temps et quasi simultanément, la Turquie a traversé et traverse encore l’affaire Dreyfus, 1905, le 6 février 1934 et la cagoule, le baby-boom (dans des proportions plus importantes encore), l’industrialisation, une croissance forte et une non moins forte urbanisation... La liste ne vise pas à l’exhaustivité.

En quelques années sous l’aiguillon du dynamisme des jeunes générations (50% de la population a moins de 25 ans), la société turque a commencé de bousculer les masques sociaux de la famille et de la communauté (religioso-traditionnelle ou politique), sans pour autant trouver ceux d’une synthèse plus large dans le cadre d’un Etat-nation dont le paradigme assimilateur n’a non seulement pas fonctionné mais semble même dépassé à de nombreux égards : l’assimilation à un modèle identitaire s’appuie sur une construction du passé largement mythologique tout à fait allergique à la remontée des mémoires et des identités liée à la globalisation. Les questions kurde et arménienne sont à cet égard, deux des exemples les plus révélateurs.

Les conséquences ? Multiples et incernables mais de deux ordres :

-  La société turque vit une série de crises qui sont crise en cela que les problèmes posés n’ont pas de réponse toute prête : c’est l’idée même de crise qui nécessite une imagination pratique et politique pour laquelle les Turcs ne sont pas, loin de là, sans ressource.

-  La société turque est donc en crise parce que confrontée à une situation inédite que la simple imitation des modèles occidentaux ne suffira pas à régler : elle se doit d’inventer sa propre modernité dans les conditions du monde actuel.

La Turquie aura donc bien plus de raisons de fierté dans cette invention de son avenir que dans les vaines jacasseries sur une « identité » turque de plus en plus improbable. Et c’est d’ailleurs ainsi qu’elle rendra les élucubrations identitaires et condescendantes de certains députés français complètement ridicules. Mais il nous faudra un peu plus de temps que ce que tentent de nous laisser penser M. Mallié et consorts.

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