Logo de Turquie Européenne
Accueil > Editoriaux > Turquie, cette allergie si française

Turquie, cette allergie si française

mercredi 29 avril 2009, par Marillac

Le printemps est là et bien là. Tout en abondance de fleurs, de pollens, de bourgeons, de bourdonnements. Tout en allergie.
He bien la Turquie aussi c’est une allergie. Un bon rhume des foins comme on les aime bien.
Les histamines ? Pompées par les acariens plébéiens…

Les raisons ? Ne cherchez pas. Un léger contact cutané. Lointain. Le passage d’un Obama. Et hop la machine s’emballe. Une bourde d’Erdogan (décidément on ne s’y fait pas) et paf rebelote. Pire encore, la seule évocation du nom. Le hors sujet parfait et c’est reparti pour une bonne conjonctivite.
Juin 2008, la Turquie en demi-finale de l’euro de foot : et houpala, Turquie Européenne [TE] invitée sur le plateau d’une chaîne du câble. Le thème : si Mehmet marque un but, dira-t-on de la Turquie qu’elle est européenne ? Printemps 2009, les élections européennes qui…. Enfin bon… Nouvelle poussée histaminique.

TE ne s’en plaint pas : fréquentation de son site en hausse, sollicitations redoublées pour des interviews ou des « débats citoyens ».

Depuis 2005, l’UE est encalminée. Un non français. Un non néerlandais. Le non irlandais. La présidence tchèque. La « bogossitude » de certains leaders et le triomphe de l’intergouvernemental. Une certaine impuissance politique. Barroso en cantinière de Bruxelles.
Et puis quelques questions. Annexes. La place de l’UE dans la mondialisation. La politique sociale. Les politiques économiques et environnementales. Les sujets ne manqueraient pas pour une campagne dont les enjeux méritent d’occuper le cœur de nos débats politiques.

Mais non, la « Turquis horribilis » nous titille à nouveau les ganglions.
L’Europe malade de la Turquie ? Possible. Quant à la France, aucun doute.

Quel est ce trouble, docteur, qui fait la France frappée de mutisme puis soudain, tout à trac, prise d’une frénésie sondago-médiatique ?
Pourquoi la Turquie est-elle devenue sujet à la fois de tabou et de fixation allergique en France ?

Questions sensible s’il en est parce que s’il est une mission que devrait se fixer TE ce serait bien celle de réconcilier les Français avec la Turquie. Le préalable cependant, un diagnostic valable. Ce papier n’en sera pas le lieu. Tout au plus explorera-t-il quelques voies ou hypothèses.

- Ses hommes politiques ? Éclat sans nom de la classe politique française actuelle. Qui surfe sur les problèmes plutôt que de les résoudre. Incapable de saisir la dimension des problèmes ? Combien de candidats polyglottes aux dernières élections majeures en France ?
Système quinquennal et surmédiatisé qui concourt à éliminer ou à rendre inaudibles les meilleurs des candidats, je veux dire ceux dont les valeurs passent avant la (ré)élection ?
Où sont passées l’intelligence et les valeurs d’un Philippe Séguin, d’un Michel Rocard ?
L’intelligence et les exigences d’un Mendès-France auraient-elles pu marquer le paysage politique français dans les années 1990 et 2000, comme elles ont pu le faire dans les années 1960 – 1970 ?

Mais un pays n’a que les hommes politiques qu’il mérite. Nous n’en sommes donc là qu’à l’écume des choses.

- Son identité et donc sa façon de penser son passé. Pour une part impérial, impérialiste, colonialiste et orientaliste. Là encore la Turquie, avec sa maudite idée d’adhérer à l’UE, vient heurter de plein fouet tout un pan d’une certaine conscience de soi française, occidentale et européenne. C’est certain. Il n’est qu’à considérer l’attitude des pays scandinaves – hors Danemark – pour se rendre compte du poids du passé et d’une certaine identité coloniale dans l’appréhension de cette question.
Mais pourquoi le Royaume-Uni, autre puissance coloniale, ne connaît-il pas les mêmes appréhensions ? C’est pourtant bien le pays de Lord Byron.

Un crise en ciseaux

- Voilà, une partie de la réponse assurément.
Mais il faut sans doute aller plus loin. Aux limites sur lesquelles l’inquiétude cède le pas à l’espoir.
Car la France épouse presque parfaitement la structure d’un pays en crise, non seulement économique mais identitaire. Et la crise allergique qu’elle développe lorsqu’il est question de la Turquie n’en est qu’un symptôme. Mais qui dit crise dit aussi opportunité.
Qui dit allergie dit également hypersensibilité. Hyperappréhension des responsabilités vis-à-vis de l’avenir. Un corps mort ou moribond ne développe plus d’allergie. Et cette jeunesse, ce dynamisme latent, cette appréhension gourmande de l’avenir, c’est son inconscient qui la trahit en faisant de la France la championne d’Europe du dynamisme démographique : le monde actuel fait d’autant plus peur aux Français qu’ils veulent se donner les moyens d’en relever les défis, qu’ils abordent l’avenir avec une envie peu commune en Europe. Or se projeter dans l’avenir, c’est s’exposer, prendre des risques et des responsabilités, prendre des coups et réagir. Allergiquement.

A cela vient se surajouter une crise sociale bien française : une génération surpuissante et trop nombreuse qui a présidé aux destinées de la France depuis maintenant plus de 40 ans. Celle de ce baby boom qui amorce un douloureux départ en retraite et qui ne fut jamais capable de sortir des paradigmes sociaux et politiques posés en 1944. Deux ans après le début du baby boom, en pleine occupation.
Comme en 1942, la France vit actuellement une nouvelle période de « soudure » démographique. Qui se traduit également par une période de « soudure » politique et idéologique, dans laquelle le discours de l’ancienne génération tourne à vide - pas besoin de faire un dessin - et celui de la nouvelle se cherche encore. Dans un espace traversé par de grandes peurs.

Mais au-delà des allergies passagères, cela laisse espérer deux choses :

- Cocorico ! A l’horizon 2020-2030, le dynamisme français devrait commencer de peser en Europe. 2050 : la population française dépassera la population allemande. Qu’en sera-t-il alors de l’Europe et de ses équilibres internes ?

- Harika ! A ce même horizon, la France dynamique et intrépide ne trouvera, dans toute l’Europe, qu’un seul acteur aussi fou et dynamique qu’elle, aussi prêt qu’elle le sera à prendre des risques et des responsabilités, aussi socialement et culturellement diversifié : la Turquie. Et la France. Deux acteurs intermédiaires conscients de la nécessité d’entraîner l’Europe pour se faire entendre de par le monde entier.

Nos médias et nos politiques seront-ils alors toujours autant paresseux ?!

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0