Témoignage d’une lectrice sur ses impressions ramenées de Turquie cet été, 10 ans après avoir effectué un premier séjour.
Trois heures après le décollage de Genève, c’est la plongée sur Istanbul. 6000 km et 3 petites heures seulement séparent l’univers propre et lisse de la cité helvétique de la trépidante et bouillonnante « presque capitale » turque. Trois petites heures qui, pour la troisième fois de ma vie, me transportent du cœur de l’Europe aux portes de l’Asie.
Impressions...
Tout d’abord la Turquie, pour moi, ce sont les retrouvailles avec des gens chers : les oncles, les tantes et les cousins de Sebahat, mon amie depuis 20 ans. C’est une vraie émotion qui m’envahit quand je retrouve cette « presque famille ». Dix ans après mon dernier voyage en terre byzantine, tous m’accueillent, à bras ouverts et à grands renforts de « Hoşgeldin », à quoi je réponds, un peu plus spontanément qu’autrefois, « Hoşbulduk ». Cependant, ma connaissance de la langue étant toujours limitée, c’est nécessairement avec Sebahat, ma traductrice-amie, que je dois poursuivre la conversation. Cela restera ma grande tristesse de ce séjour : ne pas pouvoir échanger directement avec les gens.
Et puis, je retrouve les lieux et les monuments à la fois exotiques et familiers : la Mosquée Sultanahmet, Sainte Sophie, le palais de Topkapi, le Grand Bazar, le Bazar égyptien, les quartiers d’Eyüp et de Beyoglu, le marché de Kadiköy, les hammams ; je retrouve aussi des odeurs : celles des épices, des fruits murs, du thé capiteux, des poissons fraîchement pêchés et vite grillés, des döner qui tournent tout le temps ; je retrouve des bruits : les klaxons incessants, les sonneries de téléphones portables, les conversations peu discrètes, les interpellations des marchands polyglottes, l’appel rituel à la prière. Enfin, je retrouve une atmosphère un peu particulière : celle d’une ville en perpétuelle agitation.
Istanbul a l’envergure d’une capitale : tout bouge, tout vibre, tout résonne, tout respire. A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, malgré la chaleur plombante de ce mois d’août 2008, sur terre, sur le détroit du Bosphore, dans le ciel d’Istanbul, je perçois cette agitation, cette « turbulence ».
Pour moi qui aime observer, qui voudrais ne rien perdre de ce voyage, il y a sans cesse à sentir, à voir, à goûter, à toucher, à entendre ; c’est grisant au début, puis fatigant.
Mais ce dépaysement, à y regarder de plus près, est tout relatif. Car il me semble bien que Byzance a pris des allures d’Occident depuis dix ans, mondialisation oblige : les Mac Donalds et Burger King concurrencent les innombrables restos locaux ; les prix s’affichent en euros du côté du Grand Bazar ; les publicités pour Carte d’Or font peu à peu oublier les « Maraş dondurma » ; les enseignes Carrefour et Migros fleurissent au détour des grandes avenues ; les polos Lacoste et les ceintures Dolce Gabana balaient les textiles et les cuirs turcs ; les adolescents arborent des coiffures « tektonik » ; les femmes troquent peu à peu foulards et robes couvertes contre des tenues plus colorées et plus légères. Finalement, je trouve qu’Istanbul a pris des allures de métropole européenne. Ainsi resté-je coite devant la question d’Ahmet, mon oncle « par amitié » : « Pourquoi la France ne veut-elle pas de la Turquie dans l’Europe ? »
Quelques jours après mon retour en France, encore pleine d’images bourdonnantes, je me repose cette question.
Effectivement, Istanbul a pris des allures occidentales mais aussi grande soit-elle, la ville n’est pas le reflet de toute la Turquie.
Et puis, l’européanisation n’est sans doute pas que la reproduction de modèles vestimentaires ou économiques. D’autres éléments, plus importants et peut-être plus dérangeants peuvent poser problème : tout d’abord, les liens que la Turquie entretient avec les Droits de l’Homme. Ensuite la république turque, laïque depuis 1923, semble quand même très liée au pouvoir religieux
[Durant mon séjour, difficile de constater des atteintes aux droits de l’homme, mais depuis quelques années, mon œil lit avec plus d’attention des articles concernant la Turquie. De vrais efforts ont été faits dans ce domaine mais visiblement, il reste des points à améliorer : la situation de certains détenus dans les prisons ; la liberté d’expression n’est pas toujours respectée...].
Enfin, le gouvernement actuel d’Erdogan ,élu démocratiquement, a accueilli en grande pompe le contesté Mahmoud Ahmadinenejad, sous les acclamations de la foule.
Tout cela interroge... Mais, en fait, ce que j’aurais envie de dire maintenant, c’est que si on laisse de côté les avantages économiques, certes indéniables au début, l’entrée dans l’Union Européenne est-elle tellement une faveur ? Les Européens de longue date ne semblent-ils pas déchanter peu à peu ?