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Tony Blair impose une remise à plat du projet européen

dimanche 19 juin 2005

LE MONDE

Au terme d’une journée et demie d’intenses négociations, l’Europe se retrouve sans Constitution et sans budget pour les années à venir. Les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Bruxelles se sont séparés dans la nuit de vendredi 17 à samedi 18 juin sur un double constat d’échec. Après avoir renvoyé, la veille, à une date indéterminée la poursuite des référendums sur le traité constitutionnel, ils ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur les perspectives financières 2007-2013, plongeant l’Union « dans une crise profonde » , selon le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, qui assure la présidence européenne jusqu’au 30 juin.

C’est un sérieux coup de semonce pour une Europe fortement ébranlée par le rejet du traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas, consciente du déficit démocratique dont elle souffre auprès des opinions publiques, saisie par le doute sur ses objectifs et ses priorités, incertaine du sens même de son projet. M. Juncker a exprimé son inquiétude face à l’« affaiblissement » de l’Europe, tout en se disant convaincu qu’elle saurait « se ressaisir un jour » . Jacques Chirac a parlé d’une « crise grave » . L’Union se trouve aujourd’hui contrainte à un double gel ­ de la Constitution et du budget ­, voire, selon un diplomate, à un triple gel, si l’on y ajoute celui de l’élargissement, remis en cause par les votes français et néerlandais, au risque d’une paralysie de ses politiques et de ses institutions.

Les Vingt-Cinq ont d’abord dû prendre acte de la montée du non à la Constitution dans la plupart des pays de l’Union. Pour éviter une spirale du refus, il fallait de toute urgence empêcher l’effet de contagion après les votes français et néerlandais. En donnant aux Etats un nouveau délai, l’UE a conjuré le danger, tout en préservant le vague espoir qu’un jour les électeurs reviendraient à de meilleurs sentiments. Le lendemain, c’est le budget pluriannuel pour les années 2007-2013 qui est à son tour ajourné.

Le refus obstiné par la Grande-Bretagne, en l’absence d’une réforme en profondeur de la structure budgétaire, d’une remise en cause du rabais obtenu en 1984 sur sa contribution au budget communautaire, le refus simultané par la France de toute révision de la politique agricole commune (PAC), qui aurait pu servir de monnaie d’échange, rendaient un accord impossible. Le Conseil européen a été dominé, sur les deux grands sujets en discussion, par un affrontement franco-britannique. M. Blair avait annoncé, dès le lundi 13 juin, la suspension du référendum britannique, alors que M. Chirac insistait sur la poursuite de la procédure. C’est le premier ministre britannique qui l’a emporté, la plupart des pays qui s’apprêtaient à organiser un référendum décidant, comme lui, d’y surseoir.

Tony Blair a mis en cause la politique agricole commune et demandé une nouvelle répartition des dépenses pour favoriser les activités de l’avenir, et non celles du passé. Il s’est dit prêt, au cours de la négociation, à mettre le rabais britannique sur la table seulement si la réforme de la PAC y était mise aussi. Le blocage n’a pu être levé.

ÉLARGIR LE DÉBAT

Même s’il s’est retrouvé plutôt isolé dans sa défense du rabais britannique et dans ses attaques contre la PAC, Tony Blair, dont le pays va prendre la présidence semestrielle de l’Union le 1er juillet, apparaît en position de force. Accusé par M. Juncker d’avoir voulu l’échec de la négociation en demandant dès maintenant une remise à plat des structures du budget, le premier ministre britannique estime au contraire que la crise déclenchée par le non à la Constitution en France et aux Pays-Bas oblige à reposer la question des priorités financières de l’Union. Il sait que l’idée d’une refonte du budget communautaire fait son chemin, au moment où les Vingt-Cinq tentent de relancer la stratégie de Lisbonne, fondée sur des investissements tournés vers la croissance et la compétitivité. Son ministre des affaires étrangères, Jack Straw, a indiqué que la Grande-Bretagne se battra pour parvenir dans les prochains mois à un accord sur le budget.

Au-delà des perspectives financières, M. Blair s’est dit partisan d’un « débat fondamental » sur l’Europe afin de « rétablir le lien avec les gens » et de « retrouver l’idéal européen » . Il a évoqué les questions de la mondialisation, de la sécurité, de la criminalité, de l’immigration. Le Conseil européen l’a entendu en demandant que le « débat mobilisateur » en cours soit « intensifié et élargi » pour que s’expriment les « préoccupations » et les « inquiétudes » des citoyens. « C’est un moment de renouveau » , a déclaré le premier ministre britannique, ajoutant : « Nous devons changer de vitesse pour nous adapter au monde dans lequel nous vivons. »

Le programme de la présidence britannique sera rendu public le 23 juin. Le chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown, en a donné un aperçu le 26 mai, dans une communication au Parlement britannique, en souhaitant que l’Europe réforme le marché du travail, réduise les subventions publiques, achève la libéralisation du marché de l’énergie, crée un marché financier libre transatlantique. M. Blair sera notamment attendu sur deux projets controversés en discussion à Bruxelles, la directive Bolkestein sur la libéralisation des services et la directive sur la durée du travail, que la Grande-Bretagne veut assouplir. M. Juncker s’en est pris vivement, vendredi soir, à l’Europe libérale défendue par M. Blair, qu’il a opposée à sa propre conception d’une Europe politique intégrée.

Le premier ministre britannique devra également gérer l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie, fixée au 3 octobre. La Grande-Bretagne s’est toujours montrée favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union, mais M. Blair n’ignore pas que, dans plusieurs pays, les opinions publiques y sont nettement hostiles.

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