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Ne rien céder

vendredi 10 février 2006, par Denis Jeambar

L’Express du 09/02/2006
Turquie Européenne et Reynald Beaufort pour le commentaire en pied de page - 10/02/2006

Il revient aux musulmans radicaux de se plier aux principes universels, comme le font les croyants de toutes les religions

Pour tous ceux qui avaient encore le moindre doute, l’affaire des caricatures de Mahomet, publiées par la presse danoise et, aujourd’hui, par certains médias français, lève toute ambiguïté : la question islamique est posée désormais au c�ur même des sociétés européennes. La levée de boucliers observée dans tout le monde musulman, du Maroc à l’Indonésie, les menaces proférées, les violences commises ici ou là, en particulier au Liban, sont l’expression d’une nouvelle offensive de l’islam fondamentaliste pour intimider les démocraties.

La démesure des mouvements de protestation n’est pas, en effet, le fruit du simple hasard : elle trahit la volonté conquérante d’un « islam global » qui entend peser sur les décisions politiques de l’Europe et ouvrir une brèche dans les principes qui la guident. Qui est vraiment l’agressé dans ce déchaînement hystérique ? D’abord le Danemark, victime de tous les anathèmes et rejeté, à présent, dans le camp de l’ « islamophobie », expression inventée par les mollahs de Téhéran pour porter le fer islamique bien au-delà de leurs frontières. Comme l’explique la romancière iranienne Chahdortt Djavann (1), « l’islamophobie résume l’idéal totalitaire d’un régime islamiste pour qui toute opposition est considérée comme une atteinte et à ce titre justiciable de la peine de mort ». Une machine de guerre idéologique bien huilée que relaient, malheureusement, nombre d’intellectuels européens aveugles devant une pensée musulmane qui ne tolère pas la pluralité politique, religieuse et philosophique. Rien, pourtant, n’est spontané dans la réplique à l’ « hérésie » danoise. Il n’aura pas fallu moins de quatre mois pour que ces caricatures fassent se lever les foules et réveillent l’indignation de dirigeants, arabes notamment, toujours prêts à être plus extrémistes que leurs extrémistes pour réassurer leur pouvoir, partout menacé par la poussée intégriste.

Cette conjugaison d’un fondamentalisme conquérant et de pouvoirs dictatoriaux qui se radicalisent pour ne pas disparaître est la source d’un « djihad » de plus en plus agressif en Europe au sein de populations immigrées encore mal intégrées. Avec trois angles d’attaque. D’abord, cultiver les frustrations de ces communautés pour les transformer en victimes. Ensuite, saper les obstacles au développement de l’islamisme, à commencer par la liberté d’opinion, principe essentiel de nos démocraties. Faut-il rappeler que, depuis le siècle des Lumières, cette liberté inclut même le droit au blasphème ? « Le blasphème des grands esprits, disait Renan, est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l’homme vulgaire. » Enfin, ébranler la laïcité et pousser, hors des terres de l’islam, les feux de la charia qui refuse la séparation entre le politique et le religieux.

Le combat ainsi engagé n’a d’autre but que la déstabilisation de l’Europe, considérée comme le ventre mou de la résistance à l’islamisation. Ces troubles et ces tensions ont pour objectif d’y déclencher une forme d’ « intifada » et de tester la capacité de résistance de nos pays, la force de nos convictions, la détermination de nos dirigeants. Il faut saluer la réponse intransigeante du chef du gouvernement danois, qui a refusé de troquer la liberté d’expression contre des exigences religieuses. Il ne s’agit pas, évidemment, de défendre des actes de provocation ni de blesser pour blesser, car toute conviction religieuse est respectable.

Mais pourquoi faudrait-il tourner le dos à l’histoire de l’Europe, céder aux prétentions de l’islam radical et lui accorder des privilèges qui sont refusés à toutes les autres confessions ? L’islam peut offrir un tout autre visage, mais il n’évoluera jamais vers la modernité s’il n’accepte pas la pluralité et la liberté qui fondent les vraies démocraties. Il est temps de déjouer le piège tendu : aussi impertinente soit-elle, la critique d’une religion n’a rien à voir avec un acte de racisme. Il revient aux musulmans intégristes de se plier aux principes universels, comme le font les croyants de toutes les autres religions et nombre de leurs coreligionnaires. Et parmi ces principes figure la liberté d’expression, première de toutes les libertés et produit extraordinaire de notre passé. Ce n’est pas l’islam qui est agressé. C’est nous, quand il refuse ce qui fait notre identité et notre dignité.

(1) Que pense Allah de l’Europe ? par Chahdortt Djavann. Folio.


Commentaire de la rédaction de Turquie Européenne

On ne peut qu’être d’accord sur le fond, cependant il est malhonnète d’affirmer que l’islamophobie ne serait qu’une invention des fondementalistes. Ce ne sont pas les islamistes qui ont bati la théorie du « Conflit des Civilisations », M. Jeambar devrait sortir de sa tour d’ivoire, plus souvent assister à des conférences ou des réunions politiques, lire certaines publications, écouter De Villiers, Del Valle, Le Pen, tendre l’oreille dans les cafés du Commerce. La détestation de l’Islam progresse dans les pays occidentaux, le nier ne résoudra pas le problème.

La responsabilité en revient d’abord au islamistes radicaux et aux intégristes, tout à fait d’accord. Mais aussi n’éludons pas les discours généralisateurs et simplistes sur les musulmans largement relayés par les médias.

J’attends aussi que les musulmans dénoncent clairement cette excroissance maligne et monstrueuse qu’est l’islam politique. Mais j’attends aussi de nos sociétés laïques qu’elles arrêtent de sans cesse stigmatiser et marginaliser les musulmans dans leur ensemble alors que leur très grande majorité est parfaitement pacifique.

Appuyons nous sur les musulmans laïques pour combattre les bigots et l’intolérance. Donnons la parole à ceux qui ne l’ont jamais, ne laissons pas croire que les seuls moyens de se faire entendre sont le foulard ou pire, la violence et la terreur qui sont en grande partie l’expression d’une grande frustration.

Reynald Beaufort - 10/02/2006

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