L’assouplissement de la position française, qui ne devrait pas mettre son veto à l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, devrait mettre un peu de baume au cœur des Turcs dont l’enthousiasme pro-européen, déjà en déclin, a encore pâti des nouvelles rebuffades de Paris. Il n’y avait plus guère que les membres du gouvernement qui continuaient à faire comme si de rien n’était, réaffirmant, à l’instar du ministre des affaires étrangères, Abdullah Gül, leur conviction que les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne débuteront bien, comme promis, le 3 octobre. « Les négociations commenceront car les dirigeants européens ont la prudence nécessaire pour éviter de sacrifier des stratégies à leurs troubles politiques internes, ou à des questions relevant de la conjoncture » , a ainsi déclaré M. Gül, en réaction aux propos de Jacques Chirac sur l’inadéquation de la position turque sur Chypre « à l’esprit » exigé d’un candidat à l’Union. Ce recours aux « valeurs morales » avait particulièrement irrité les commentateurs des médias pour qui le revirement de la position française était entièrement dicté par la rivalité Chirac- Sarkozy ou, accessoirement, par celle qui oppose Paris et Londres au sein de l’UE. « Nous avons du mal à nous souvenir d’une démonstration de l’intérêt particulier de la France à résoudre le problème chypriote au cours des quarante dernières années, et à comprendre son amour subit pour les Chypriotes grecs » , écrit ainsi l’éditorialiste Yusuf Kanli, pour qui « l’attitude de Chirac est simplement honteuse et traduit l’absence totale de respect de la parole donnée ». Comme ses confrères, il souligne que c’est la partie turque qui a fait preuve d’esprit constructif en acceptant le « plan Annan » sur Chypre en avril 2004. Exiger aujourd’hui d’Ankara une reconnaissance de la République de Chypre serait encourager celle-ci dans son intransigeance. Alors que la Turquie se déclare tout à fait prête à faire ce pas une fois qu’un accord aura été trouvé sur le sort de l’île divisée.
Un sentiment répandu en Turquie est donc que la question de Chypre n’est qu’un prétexte brandi par les adversaires de son entrée en Europe. Et que d’autres seront soulevés tels la reconnaissance du génocide arménien ou le traitement par Ankara de sa question kurde au cas où celui-ci ne suffirait pas. L’éditorialiste Mehmet Ali Birand avait d’ailleurs prédit l’échec probable de l’équipée française sur Chypre, expliquant que Paris, « le grand frère » , sera sans doute bridé par Athènes et Nicosie qui, loin de s’opposer à l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie, voudraient que celles-ci durent le plus longtemps possible afin qu’elles aient un instrument permanent de pression sur Ankara.