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Le déni du fait kurde ?

samedi 26 novembre 2005, par Ismet Berkan

Suite à des évènements survenus dans une province du sud-est anatolien, la question kurde est complaisamment remise au centre des débats politiques en Turquie par l’opposition. Ismet Berkan rédacteur en chef du quotidien Radikal, en profite pour faire un point sur les enjeux de cette question.

Il fut un temps en Turquie où étaient avancées les thèses de l’inexistence des Kurdes en tant que peuple, comme de l’origine de leur nom tirée du bruit que les membres de ces tribus turques produisaient en marchant sur la neige : « kart, kurt » (allez savoir peut-être que les autres Turcs lorsqu’ils marchent sur la neige, produisent un son différent, voire même pas de son du tout...).
Quoi qu’il en soit, il n’est désormais plus nécessaire de recourir à de telles explications. On ne nie plus vraiment l’existence de ceux que l’on dit Kurdes : ce que l’on considère comme une sorte de « progrès ».
Je ne sais pas trop si le fait de ne plus nier le fait kurde représente un progrès ou pas mais à ce sujet peut-être que les paroles prononcées hier par leader du Parti Républicain du Peuple, Deniz Baykal et celui du Parti de la Mère Patrie, Erkan Mumcu peuvent vous aider à vous faire une opinion.

Pour commencer, l’intervention de Deniz Baykal : « La citoyenneté de la République turque est une identité juridique. La citoyenneté turque ne peut pas prendre la place du Peuple turc. Tu assimileras le concept de Peuple turc. Tu ne craindras pas de prononcer le mot de Peuple turc. Tu n’en auras pas honte. Tu sauras que la réalité du Peuple turc ne peut être violée par l’identité ethnique de quelque groupe que ce soit. »

Puis celles d’Erkan Mumcu : « Espérons que notre Premier ministre a été victime d’un lapsus. Je constate qu’il évite de parler du terme de Turcité qui est le nom commun donné à notre lien de citoyenneté, lien constitutionnel. Mais je suis de ceux qui pensent que lancer une polémique sur un tel sujet n’est pas pour servir la Turquie. Espérons que le Premier ministre corrige cette impression. »

* * *

Maintenant, mettez-vous à la place d’un Kurde citoyen turc résidant à Semdinli (Sud Est turc aux frontières irano-irakiennes, ndlt). La veille, le premier ministre turc s’est rendu jusque chez vous et a déclaré : « nous nous retrouverons tous sous cette identité commune qui est celle d’être citoyen de la République turque. Nous respecterons l’identité de chacun. Nous sommes tous des citoyens turcs, personne ne doit en ressentir quelque gêne que ce soit. » Le lendemain, si deux leaders de l’opposition se fendent des déclarations citées plus haut, qu’êtes-vous amené à penser ?

Oui, la Constitution énonce bien qu’est Turc chaque personne liée à l’Etat turc par un lien de citoyenneté, mais en fait et exactement comme l’explique Deniz Baykal, ce lien est juridique, c’est-à-dire une réalité restée sur le papier. Parce que dans le même temps, le terme Turc désigne une appartenance ethnique et que les citoyens turcs qui ne s’y reconnaissent pas ne sont peut-être pas satisfaits de ce qu’on les dise turcs.
Le plus important reste la fidélité à la République turque : fidélité à son drapeau, à l’inviolabilité de ses frontières, à sa langue. Kurde, Arabe, Rom, Bosniaque, Tcherkesse, Arménien, Grec ou Juif de quelque origine qu’ils soient, la seule chose qui doive rassembler les citoyens turcs consiste, comme je viens de le dire, en cette fidélité à des valeurs fondamentales.

Les discours de Baykal et Mumcu, même si malheureusement, ils sont du genre à séduire une majorité en Turquie, sont des discours porteurs de confrontations et non de paix sociale. Et plus particulièrement des mots de Deniz Baykal, il ne serait pas bien difficile à certains d’en tirer le message d’un déni du fait kurde.

Nous avons nié le fait kurde pendant 80 ans ; le résultat est là. C’est une attitude qui n’est pas tenable plus longtemps. Si nous aimons ce pays, nous nous devons de ne pas continuer dans cette voie.

© Radikal, le 23/11/2005

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