Première grande exposition en Turquie consacrée à un artiste occidental avec 135 œuvres du géant du XXe siècle au Musée Sakip Sabanci d’Istanbul.
- Exposition Picasso à Istanbul
- Le musée Sakip Sabanci d’Istanbul présente la première exposition en Turquie consacrée au peintre Pablo Picasso, comprenant 135 oeuvres de l’artiste dont certaines jamais montrées au public depuis sa mort en 1973.
(photo AFP.)
C’EST LA PREMIÈRE FOIS que la Turquie consacre une grande exposition à un artiste occidental. Le Musée Sakip Sabanci d’Istanbul accueille 135 œuvres de Picasso, essentiellement des toiles mais aussi des dessins, des sculptures ou des céramiques.
C’est un événement d’importance à plusieurs titres. D’abord parce que les nouvelles et magnifiques salles d’exposition, dont certaines surplombent des jardins donnant sur le Bosphore, vont pouvoir commencer à donner leur pleine mesure et s’ouvrir également à l’art ancien et moderne d’Occident. C’est du moins l’intention de sa directrice, la savante et énergique Nazan Ölcer, qui, lorsqu’elle dirigeait encore, il y a deux ans, le Musée des arts islamiques, y avait organisé quelques timides expositions sur Klimt, l’expressionnisme allemand ou la Renaissance italienne.
Cela dit, l’exposition Picasso est nettement plus conséquente. Elle a été rendue possible grâce à la Fondation Sabanci, du nom de ce très prospère homme d’affaires turc, Sakip Sabanci, mort l’année dernière, créateur d’une université pluridisciplinaire et qui avait transformé en musée sa belle demeure, le « manoir au cheval », qui comporte notamment cette extraordinaire collection de manuscrits et calligraphies turcs, sacrés et profanes, que l’on a pu voir au Louvre en 2000 sous le titre « Les lettres d’or ». Et c’est à côté de cette maison qu’ont été construits, en 2002, de nouveaux bâtiments qui abritent aujourd’hui l’exposition Picasso.
L’idée pourrait sembler étrange à ceux qui pensent que la Turquie, terre d’Islam, connaît encore un fort tabou concernant, non pas l’art bien sûr (la splendeur des calligraphies et des miniatures en témoigne largement), mais la représentation du monde et de la face humaine. Alors, pensez : Picasso !
A cela, Nazan Ölcer répond qu’il y a près de deux siècles qu’il y a une tradition turque de peinture figurative, que l’on enseigne l’histoire de l’art à l’Université et que la création contemporaine est ici très vivace.
Un nom universel
« En réalité précise-t-elle, ce n’est pas moi qui aie eu l’idée de cette exposition. M. Sabaci, qui voyageait beaucoup, avait visité de nombreuses expositions sur l’artiste. Il avait été impressionné par l’œuvre, par sa profusion et par le nombre de visiteurs que cela fascinait. Un peu avant sa mort, il avait décidé de bâtir un important musée et souhaité que la première exposition qui s’y tiendrait serait consacrée à Picasso. » C’est chose faite.
« Avoir choisi Picasso pour une première grande exposition d’un peintre occidental à Istanbul est un bon choix poursuit Nazan Ölcer. D’abord parce que c’est un nom connu, universel. Je crois au succès de cette manifestation. Nous avons déjà reçu un nombre considérable de réservations de toute la Turquie. Et je ne pense pas que le public sera dérouté. D’autant que nous avons pris soin de montrer toutes les périodes de son activité artistique. La Turquie, pays à la population jeune, doit s’ouvrir, évoluer et il n’y a pas de meilleur exemple d’évolution et de remise en question que chez Picasso. »
Une exposition chronologique
Pour réaliser cette exposition, la directrice du musée a fait appel aux compétences d’une spécialiste, Marylin McCully (qui a également supervisé le catalogue qui contient, notamment, un très bel article de Michel Leiris, « L’artiste et son modèle ») et de Bernard Ruiz-Picasso, petit-fils du peintre et directeur du Musée Picasso de Malaga. Ce dernier a voulu faire une exposition chronologique, résolument didactique, pédagogique, presque scolaire. « Ici dit-il, l’expérience visuelle est différente de la nôtre. Il m’a paru essentiel de montrer la créativité et la diversité de l’œuvre de Pablo. De montrer l’expression figurative puis les principes du cubisme, les mécanismes des métamorphoses des formes et des nouvelles conceptions, quelque chose comme un condensé des changements incessants dans l’œuvre de Picasso, particulièrement sensibles dans les portraits de femmes que j’ai voulu nombreux. »
L’exposition est plutôt réussie. Essentiellement composée d’œuvres des collections de la famille Picasso (dont celle de Bernard-Ruiz Picasso) et de quelques prêts de Paris, de Barcelone ou Lille, elle offre au visiteur de très belles œuvres : L’Oiseau (1895), La Femme qui pleure (1937), Nature morte à la cruche et au verre (1944), L’Etreinte et La Conversation (1970) ou encore ce magnifique plateau espagnol Motif mozarabe (1957) et cet Homme courant, bronze de 1960. Ce n’est pas mal pour « donner quelques clés », selon l’expression de Bernard Ruiz-Picasso, pour une introduction à l’une des œuvres majeures de l’art occidental du XXe siècle.
Nazan Ölcer n’entend pas s’arrêter là. Elle promet qu’en juin prochain, des œuvres de Rodin contempleront à leur tour le Bosphore, de ce même lieu. « Le principe même de l’art, c’est l’échange dit-elle. Voyez Picasso et l’art africain, Matisse et le Maghreb. Savez-vous d’ailleurs à quoi je songe en ce moment ? A une exposition au Musée Sakip Sabanci où l’on verrait côte à côte les tissus de Matisse et les tissus turcs. » Un joli rêve.
« Picasso à Istanbul ». Jusqu’au 26 mars au Musée Sabanci. Mardi, jeudi, vendredi et dimanche de 10 heures à 18 heures ; mercredi et samedi jusqu’à 22 h 00. Tél. : (212) 277 22 00.