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Idéal européen, Turquie : dialogue impromptu

mercredi 30 avril 2008, par Marillac

Paroles échangées sur un quai de métro. Conditions du off.
Pour beaucoup dans les hautes sphères, de telles conditions auraient été nécessaires à la perpétuation du petit théâtre des grandes et coupables hypocrisies.
Pour mon interlocuteur, il ne s’agit que du respect porté à sa libre parole.

« Vous savez on vient de parler et on parle d’adhésion de la Turquie à l’UE. Mais je ne suis pas persuadé qu’il y ait encore une UE dans quelques années. Economiquement, commercialement, techniquement, si assurément, la chose va durer. Mais politiquement, existera-t-il une union politique et stratégique dans quelques années ? Rien n’est moins sûr aujourd’hui. »
Le même jour, nous publiions dans ces colonnes un article de Nuray Mert qui posait abruptement la question de ce que devenait cette Europe à laquelle aspire la Turquie : Berlusconi, Sarkozy, Brown, etc… La Turquie souhaite-t-elle et doit-elle encore adhérer à une Europe qui par les choix de ses leaders semble incapable d’une part, de parler d’une seule voix, d’autre part, de faire entendre une autre voix que celle des Etats-Unis. Quelle est encore la signification du projet européen eu égard à son voisinage immédiat qu’est le Moyen-Orient ?
Autant de questions fortes qui devraient remuer les partisans de l’Europe puissance, identitaire et auto-centrée.

Mon interlocuteur poursuit.
« C’est la raison pour laquelle, en ayant le risque de cette absence à l’esprit, il nous faut au moins préserver l’optique d’une adhésion pour la Turquie. Quand bien même le processus n’aboutirait pas, il est nécessaire aujourd’hui pour la Turquie de le maintenir sur les rails. Sans chercher, pour l’instant, à viser plus loin. »

On peut déduire de cela plusieurs choses :

- Mon interlocuteur est un ardent et ancien défenseur de l’adhésion de la Turquie à l’UE : il ne s’agit pas pour lui de prouver que la Turquie est européenne. De grapiller des subsides européens. Ou même de simplement forcer la main des conservateurs islamistes ou militaires en Turquie. Non, il faut « viser plus loin ». C’est-à-dire inscrire le projet d’adhésion de la Turquie dans un projet bien plus large. Pour l’Europe.
Et Nuray Mert de toucher juste : si le projet européen est politique, il n’est pas culturel ni patrimonial, il n’est pas celui d’une réunification de ce qui ne fut jamais uni, il est sûrement stratégique avant tout. Le projet européen devra correspondre au choix d’une géographie pertinente… Alors la Cappadoce et les Etats tampons…

Or mon interlocuteur appartient à une école de pensée entre Turquie et Europe pour qui la Turquie ne retrouvera de marges de manœuvre stratégiques qu’en concédant des parts de souveraineté à un projet plus large qui la concerne directement.

- Projet sans lequel, le projet turc ne signifie rien d’autre que la satisfaction d’un étroit égoïsme national. Ce sont paradoxalement les défenseurs d’une formule de type « voisinage » ou « partenariat privilégié » qui poussent la Turquie à la satisfaction d’un égoïsme naturel dont ils sont les plus prompts à lui tenir rigueur en l’accusant avec 20 ans d’avance de siphonner les fonds européens et de dissoudre une unité stratégique européenne qu’ils n’ont pas pensé et ne sont pas même capables d’imaginer…
D’où la nécessité pour la Turquie, mais aussi pour l’Europe, de maintenir ne serait-ce, pour l’instant, que l’illusion d’un idéal ou d’une ambition européenne.

Mais c’est une situation bien humaine : on cherche toujours à dissimuler une peur et la reculade qu’elle induit en accusant l’autre d’être le responsable des maux que ce sentiment suscite.

La peur et la reculade européennes sont celles d’un projet fédéral (qui ne veut pas dire unitaire) politique, démocratique et stratégique européen alors que l’Union s’est étendue d’un coup sans en parler à ses opinions, dans un monde dangereux en mutation rapide. Et la Turquie de tenir, par anticipation, le rôle du grand fossoyeur de l’Europe « puissance ».

En Turquie, la peur et la reculade sont celles d’une constitution civile et d’un régime démocratique solide proposé à une population plongée dans le grand bouillon de la mondialisation, de la diversité et de l’ouverture sans garde-fous. Et l’UE de tenir le rôle du grand méchant loup impérialiste.

Il est cependant des gens pour penser les ponts qui peuvent être lancés entre ces deux situations symétriques. Et est-ce si surprenant de les voir surgir dans la dynamique de ce projet contesté de l’adhésion de la Turquie à l’UE et non dans les pays qui ont rapidement succombé au confort de l’adhésion acquise ou de l’habitude européenne ?
Est-il si surprenant de voir l’idéal européen glisser et survivre aux marges de son projet ? Cela ne nous apprend-il rien sur sa vraie nature ? Comment faire en sorte qu’il en irradie à nouveau le centre ?

A quelques jours de la journée de l’Europe, ces voix et ces questions européennes, si ténues soient-elles, méritent d’être maintenues. Même et peut-être surtout depuis nos marges étroites.

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