La victoire de l’équipe nationale met le pays en ébullition.
Les hommes, mais aussi les femmes, les vieux et les enfants. A la maison, au bureau, dans la rue, au café, au champ, à l’école, sur la plage… Partout et tout le temps, tout le monde ne parle plus que de football en Turquie, le « pays aux 70 millions de directeurs techniques », ironise Ugur Meleke, commentateur vedette de la chaîne de télévision NTV qui diffuse les matchs de l’Euro 2008.
Raki
Vendredi, pour la troisième fois en trois matchs, les Turcs ont arraché la victoire au forceps. Et, comme après chaque victoire, le pays est descendu jusqu’au petit matin dans la rue, en voitures, camions ou tracteurs, drapeau dans une main, bouteille de bière ou de raki dans l’autre, pour hurler, dans un concert de klaxons, hymne turc, chants nationalistes ou autres refrains à la gloire de l’équipe. Et tirer des coups de feu en l’air. Deux personnes ont payé de leur vie (et une dizaine d’autres ont été blessées) cette traditionnelle manière d’exprimer sa joie.
Oubliettes
« Les Turcs ne savent pas encore s’amuser et faire la fête », déplore Hincal Uluç, un journaliste qui avait même osé souhaiter la défaite de l’équipe nationale contre la Croatie au motif qu’« une victoire en football n’a pas plus de valeur qu’un enfant tué par balle ».
Le foot a également envahi les médias. Le procès en cours devant la Cour constitutionnelle pour l’interdiction du parti au pouvoir, le document scandale de l’armée qui prône la lutte clandestine contre les intellectuels islamistes, libéraux et kurdes, les 36 travailleurs morts aux chantiers navals de Tuzla (près d’Istanbul) sont passés aux oubliettes de l’actualité. L’équipe turque ne joue pas spécialement bien, n’a pas un système établi, a perdu d’entrée contre les Portugais, mais se retrouve pour la première fois de son histoire en demi-finale de l’Euro.
Par quel miracle ? Le sélectionneur national, Fatih (le conquérant, en turc) Terim, est la personnalité la plus controversée de ce débat : l’« empereur » selon ses fans, le « mégalomaniaque raté » pour la grande majorité des journalistes sportifs, n’avait, jusqu’à vendredi soir, de mots assez durs contre les médias qui le critiquaient à cause de ses choix de joueurs ou de sa stratégie. Vainqueur de la Coupe de l’UEFA en 2000 avec Galatasaray, avant de connaître deux expériences ratées avec le Milan AC ou la Fiorentina, il savoure aujourd’hui sa revanche. Et aura beau jeu de rappeler que, en mai, il annonçait que la Turquie allait faire quelque chose à l’Euro.
Minaret
Au-delà du cas Terim, dans un pays où, vendredi soir sur le coup de minuit, un imam, du haut de son minaret, n’a pas hésité à annoncer les cérémonies funéraires de l’équipe croate, sociologues, politologues, voire psychologues se joignent aux spécialistes du ballon rond pour tenter d’expliquer les succès de l’équipe nationale. « Les Turcs ont faim de victoire », constate Cengiz Çandar, chroniqueur de politique internationale. « Le nationalisme des masses renforce la condition physique de nos joueurs », ose un chroniqueur d’extrême droite… Quand un journal économique tente une autre explication : « Le hasard, la chance et le miracle ! »