Strasbourg : de notre envoyé spécial Pierre Avril
La perspective de l’ouverture, le 3 octobre, des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne a eu pour effet, hier, de crisper les parlementaires européens. Par 356 voix pour, 181 contre et 125 abstentions, ces derniers ont adopté une résolution ferme, critiquant les atermoiements du gouvernement Erdogan à l’égard de la question chypriote, les manquements du régime à l’égard de la liberté d’expression, insistant enfin sur le caractère « ouvert » du processus de négociation. Fait nouveau, et à l’initiative de socialistes français, ils ont fait de la reconnaissance du génocide arménien un « préalable » à l’adhésion. Bien que dénuées de valeur juridique contraignante, ces recommandations devraient contribuer à durcir la négociation.
Le Parlement « déplore sincèrement » l’intention, affichée de manière ostentatoire par la Turquie en juillet dernier, de ne pas reconnaître les autorités de Nicosie et d’empêcher l’accès aux ports turcs des bateaux battant pavillon chypriote. Ces conditions ont été jugées « inacceptables » par le principal groupe parlementaire (PPE), conduisant les eurodéputés à retarder la procédure juridique qui doit aboutir à la ratification définitive de l’accord douanier d’Ankara, élargi à l’ensemble de l’UE.
Sans craindre la contradiction, les parlementaires européens ajoutent dans leur résolution que « tout manquement » de la Turquie à l’application de ce même protocole aura de « graves conséquences pour le processus de négociation et pourrait même conduire à sa suspension ». Le Parlement demande à la Commission de se saisir du problème avant « la fin 2006 ». Les mêmes menaces sont réitérées dans l’hypothèse où la République de Chypre ne serait pas reconnue « dans les meilleurs délais ». Soit l’équivalent « d’un an ou deux », estime le président du groupe socialiste, Martin Schulz, pourtant farouche partisan de l’ouverture des négociations.
Si l’alternative d’un « partenariat privilégié » ne figure pas dans la résolution, le Parlement explique que l’ouverture des négociations est un « processus de longue haleine », dont l’objectif est certes « l’adhésion », mais dont l’issue reste « ouverte ». Enfin, les eurodéputés lient implicitement une possible future adhésion de la Turquie à l’adoption du projet de Constitution précisément rejeté par les Français et les Néerlandais. Le traité de Nice, affirment-ils, « n’est pas une base acceptable ».
En décembre 2004, 59% des eurodéputés - brandissant alors des affiches au motif du oui turc - s’étaient prononcés en faveur de l’ouverture de négociations d’adhésion, « sans report inutile ». Arrivés, hier, au bord du gué, les parlementaires semblaient hésiter à le franchir, même s’ils n’ont pas remis en cause la date du 3 octobre. Sans surprise, les chrétiens-démocrates allemands et les eurodéputés français se sont montrés les plus hostiles à la perspective d’une adhésion turque.
Le président du groupe PPE (droite), Hans Gert Poettering, s’est vanté d’offrir à Ankara une « alternative de coopération et d’amitié », reprochant à ses adversaires politiques de « jouer les équilibristes ». Le président des socialistes, l’Allemand Martin Schulz, a rétorqué que, contrairement à la CDU, son groupe voulait, malgré tout, « donner une chance à la Turquie ». Un avertissement conjugué à une promesse : le message adressé à Ankara est ambigu.