Autant les militaires et leurs alliés ont, il n’y a pas très longtemps, hypocritement instrumentalisé la « laïcité » pour opprimer les musulmans pratiquants, autant le Premier ministre utilise la « religion » pour taper sur la tête de ceux qui ne veulent pas adopter un mode de vie « conservateur ». C’est dans ce contexte qu’Erdoğan a notamment annoncé vouloir faire installer des salles de prière à l’opéra.
Alors que tout reste à faire par rapport au problème kurde, à la question chypriote et à celle de l’adhésion à l’Union européenne, alors que des milliers d’ouvriers meurent dans des accidents de travail posant la question de la sécurité au travail, Erdoğan, lui, s’intéresse à d’autres choses et dit qu’il va « interdire l’avortement », « stopper le recours aux césariennes », « faire construire une énorme mosquée sur la colline verte de Camlica » - qui domine Istanbul du côté asiatique - et « aménager des salles de prière à l’opéra ». Erdoğan pense qu’il va emmener la société turque avec lui dans cette impasse, mais, moi, je pense qu’il se trompe.
Ouf, nous pourrons prier à l’entracte de Don Giovanni
Concernant les salles de prière à l’opéra, je m’étais posé quelques questions. Avez-vous déjà au moins une fois dans votre vie entendu un musulman pieux et pratiquant dire qu’il serait dans l’incapacité de pratiquer sa religion si une salle de prière n’était pas aménagée dans les opéras ? L’histoire musulmane a-t-elle connu des débats consacrés à l’importance des salles de prière à l’opéra ? Les spectateurs de Don Giovanni vont-ils maintenant se dépêcher d’aller prier pendant l’entracte ? Penseront-ils à leur prière alors qu’ils regardent les ballerines évoluer dans le Lac des cygnes ? Feront-ils leurs ablutions pendant que les musiciens accordent leurs instruments ? J’avais même ajouté que si un seul musulman sain d’esprit me disait : « Oui, du point de vue de ma religion, ces salles de prière sont une nécessité », alors je retirerais toutes les critiques que j’avais formulées à propos de ce projet.
Vite, des salles de prière chrétiennes dans les cinémas
- Dessin de Cost, Belgique.
Et voilà que les réactions allant dans ce sens ont été nombreuses. Je retire donc tout ce que j’ai dit. Je me suis trompé. Je pensais vraiment que les musulmans pratiquants de notre pays me ressemblaient et donc pensaient comme moi. Je dois avouer que je ne suis pas un grand amateur d’opéra. Certes, j’aime écouter certaines mélodies mais pas au point d’aller assister à une représentation. Il semble en tout cas que j’ignore les aspirations de la société turque. En effet, dès lors que les musulmans turcs considèrent qu’il est important d’équiper les opéras de salles de prière, cela signifie que l’intérêt pour l’opéra dans ce pays a littéralement explosé. Il ne faudra donc pas s’étonner si dans les cours des mosquées on assiste à la vente des cassettes de la Tosca de Puccini, ou du Trouvère de Verdi. Je me plaignais récemment d’éprouver de plus en plus de difficultés à trouver de bonnes interprétations de cantiques islamiques et je me disais que j’allais demander de l’aide à des connaisseurs. Cela risque toutefois de ne pas être si simple dès lors que les personnes pieuses et pratiquantes semblent, à voir le nombre de mails que nous avons reçu, s’intéresser surtout à l’opéra.
Une question me vient cependant à l’esprit : pourquoi ceux qui veulent tant que l’on construise des salles de prière à l’opéra et qui considèrent donc que la pratique du culte est si importante ne réclament-ils pas alors l’aménagement de chapelles chrétiennes dans les cinémas ? En effet, nos concitoyens de confession chrétienne vont également le dimanche en famille au cinéma. Il faudrait donc qu’eux aussi puissent avoir la possibilité d’aller prier à ce moment-là. A moins que l’on estime qu’ils ne sont pas assez nombreux par rapport au nombre de musulmans et que, lorsqu’on évoque des pratiques cultuelles, il ne s’agit que des nôtres... N’y a-t-il donc que les musulmans qui soient considérés comme des citoyens à part entière dans ce pays ? N’y a-t-il qu’eux dont les pratiques religieuses doivent être prises en compte par l’État ?