Logo de Turquie Européenne
Accueil > Culture > Livres et essais > Sur les traces d’une Turquie biblique

Beau livre

Sur les traces d’une Turquie biblique

jeudi 6 janvier 2011, par Marillac

Traces. L’ouvrage aurait pu prendre ce titre. Traces d’une Turquie biblique. Mais il aurait manqué le projet de Sébastien de Courtois, tant il aurait rogné le bourgeonnement polysémique du mot traces pour n’en laisser paraître que les vestiges, les vieilles pierres et la nostalgie d’une terre perdue de la chrétienté. Mais de la Turquie biblique, l’auteur sait conjuguer toutes les traces, toutes les promesses. Traces culturelles, spirituelles et personnelles.

Traces culturelles et patrimoniales certes. Le sous-titre de l’ouvrage est itinéraire culturel. Du lac de Van et de son joyau arménien, l’église d’Akhdamar, aux monts du Tur-Abdin ourlant la plaine syrienne, à leur impressionnant monastère de Mar Gabriel. D’Antioche à la Cappadoce en passant par Tarse ; Konya, l’Anatolie centrale et la finesse de l’église de Sainte-Hélène ; Antioche - de Pisidie - sur les traces de Saint Paul, Egirdir, Isparta puis l’Occident : Ephèse, Nicée, Istanbul… Immense panorama, périple de plus de 2000 kilomètres qui embrasse l’Anatolie d’Est en Ouest. Du chœur au narthex.

Traces événementielles d’une histoire sacrée ensuite, traces miraculeuses, spirituelles, toutes ces répliques, ces souvenirs, mémoires de chocs prophétiques. Noé, Abraham bien évidemment pour l’Ancien Testament, cette Genèse des temps immémoriaux qui se fonde sur les hauteurs inexpugnables de l’est anatolien, ces plateaux et ces crêtes acérées dont les couleurs sombres et bariolées rappellent les puissances, le chaos des pierres ignées, des volcans et des lointaines origines. Puis un feu et une puissance rentrés, une lumière incarnée et coulée dans le lit qu’esquissent les traces des pas déposés par les apôtres en Anatolie. Pierre à Antioche et Paul surtout qui, depuis Tarse, sa ville natale, ne cessa d’arpenter les plateaux de l’Anatolie centrale, Konya, l’antique Iconium, puis la Pisidie, ses lacs, Antioche, l’autre Antioche, Antioche de Pisidie.

Et c’est là, en Pisidie, que le livre rencontre le lecteur par un paysage dont il pare sa couverture. Là, au bord d’un chemin, en surplomb d’un lac. Le lac d’Egirdir, miraculeuse étendue turquoise délicatement déposée sur le cuir asséché d’une brûlante Anatolie ; fragment de ciel incrusté dans la croûte anatolienne et condensant à lui seul tous les aspects de ce périple en Turquie biblique. Au premier plan, quelques traces, courbes, à droite puis à gauche, offrent comme une discrète réminiscence des tours éperdus lancés par les derviches croisés, un peu plus tôt sur la route, à Konya.

A l’arrière-plan, féérie anatolienne, ce sont les lignes trop hautes d’un horizon que des épaulements montagneux dissimulent pour le rendre plus visible, plus désirable sans doute, en leur échancrure. En face l’Occident, dans un appel, vaste et immobile effondrement.
Entre les deux, une eau aussi fine et perçante qu’un regard. Miracle d’un lac sans rivière, gonflé de l’intérieur au levain de milliers de sources silencieuses, souterraines. Lac sans écoulement, goutte immobile entre Est et Ouest ; miracle que seul un arbre, ce symbole de l’événement, relie aux traces courbes laissées par les apôtres.
Et c’est peut-être là, en Pisidie, sur les bords de ce lac d’Egirdir que se ramasse le projet du livre, qu’il échappe au catalogue touristique ou savant, pour verser dans l’itinéraire non plus culturel, mais personnel.

« Notre périple n’est pas habituel. Il est celui des loups, celui de l’Eurasie, de l’Orient vers l’Occident.
[…] Si les hommes ont disparu, les paysages restent, parfois des monuments, une route, une arche, un sanctuaire
 », confie l’auteur.
Sébastien de Courtois est un chercheur. Il a consacré sa jeune carrière d’historien et de journaliste aux chrétiens d’Orient. Chercheur certes, mais de la race des arpenteurs et des explorateurs. Il livre ici son ouvrage le plus personnel. Lors de ce périple biblique, il ne fait jamais l’économie d’un détour - économie des derviches oblige - d’une errance ou d’un temps « perdu » sacrifié à la marche. C’est en des chemins de traverse qu’il arpente l’Anatolie ; il nous narre rencontres, émotions, impressions et visages en un chapelet, une caravane de petits événements. A la première personne, la langue est simple, touchante. Il suit les traces de Saint Paul comme Jacques Lacarrière, dans la même région, avait respiré celles de Yunus Emre. Yunus, le grand poète mystique du XIIIè, Yunus le petit balayeur, cet enchanteur de la poussière.

« Il reste la poussière », rappelle Sébastien de Courtois. « Cette poussière d’Anatolie que je foule depuis longtemps et qui seule demeure. Cette cendre aux arômes théologiques qui habite ma vision fantasmée d’un Orient immobile. Elle est le début et la fin, l’Alpha et l’Oméga de toutes choses. […] Il ne s’agit pas d’exotisme mais bien au contraire de connaissance, d’apprentissage de notre origine commune […] »

Itinéraire personnel, ce voyage ne s’accomplit pas sans les photographies de Damien Guillaume, ce que l’auteur tient pour des « fenêtres du Temps ». Jeune photographe, Damien Guillaume s’est déjà longuement frotté à l’Anatolie. Il nous livre là, en contrepoint à l’écriture de Sébastien de Courtois, une série de traces visuelles qui sortent souvent des sentiers battus du documentaire convenu pour laisser affleurer une touche beaucoup plus personnelle, déroutante à certains égards, mais rémanente. La présence de Rumî à Konya, un bouquet de traces de pneu, courbes. De ces paysages et ces reliefs laissés hors champ comme des apparitions, ou bien de ces eaux que suggère une myriade de « haillons d’argent » émane un impressionnisme délicat tissé de discrètes émotions.

Impressionnisme que le texte soutient au cours d’un périple en Turquie biblique, cette « épopée de nos origines communes », cette plongée dans la matière anatolienne, géographie spirituelle où les amateurs retrouveront les accents et les couleurs qu’ils prêtent à ces hauts plateaux. Et les autres, s’ils en prennent le risque, l’authentique saveur d’un passé que l’explorateur sait répéter.


La Turquie biblique, itinéraire culturel

Prix : 24.00 €

- Acheter sur Amazone

Auteur : Sébastien de Courtois - Damien Guillaume

Editeur :Empreinte, temps présent

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0