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Sébastien de Courtois, Un thé à Istanbul : chronique d’un récit amoureux

mardi 25 mars 2014, par Inès Salas

Tout à la fois récit intime, guide de voyage, dictionnaire amoureux, promenade littéraire, le dernier livre de Sébastien de Courtois, Un thé à Istanbul, paru en janvier de cette année aux éditions du Passeur, nous plonge avec talent dans les méandres et les ravissements de la capitale turque.
Un livre à lire pour tous ceux qui veulent découvrir ou redécouvrir Istanbul. Inès Salas, mars 2014

Un thé à Istanbul : chronique d'un récit amoureux
Un thé à Istanbul : chronique d’un récit amoureux
Sébastien de Courtois
Éditions Le Passeur
Collection « Chemins d’étoiles »
Récit de voyage
Date de parution : 23 janvier 2014
Livre papier : 18,50 € - 140x205 mm
272 p. - Livre numérique : 8,99 €

Il fallait être courageux et peut-être un peu fou pour écrire un énième livre consacré à Istanbul, la capitale turque qui fascina bien des auteurs et pas des moindres, de Gautier à Rondeau en passant par Nerval et Chateaubriand, pour ne citer que les Français.

Peut-être fallait-il s’appeler Sébastien de Courtois et être de ces aventuriers qui ont le goût du risque. Il faut dire que cet écrivain voyageur, « membre de la société des explorateurs », était tout désigné pour se livrer à l’exercice : après avoir été juriste et attaché parlementaire à Paris, chercheur en Histoire à l’EHESS, l’homme, également spécialiste des chrétiens d’Orient, a décidé, voilà cinq ans, de venir s’installer à Istanbul où il vit et travaille en tant que journaliste et écrivain. Amoureux de la ville qu’il connaît dans sa « géographie intime », il se définit volontiers comme stambouliote.

Si son dernier récit de voyage, Éloge du voyage, consacré à Rimbaud et à ses années passées en Afrique avait déjà suscité l’intérêt de la critique pour son audace et sa finesse, Un thé à Istanbul, paru en janvier de cette année, renouvelle le pari d’un récit inspiré sur un sujet bien connu. Et il faut le dire : le pari est réussi. L’ouvrage, qui inaugure la collection « Chemins d’étoiles » chez l’éditeur Le Passeur, honore cette nouvelle lignée de livres dédiés à l’ « itinérance » comme le rappelle la préface de l’éditrice, Gaële de La Brosse.

C’est en effet à une véritable « itinérance », joli mot-valise pour « itinéraire » et « errance », que l’auteur livre son lecteur dès les premières pages de son livre. Nous nous retrouvons plongés dans un récit à la fois amoureux, gourmand et érudit d’Istanbul, de la Sublime Porte à la Ville-Monde.

Pendant deux cent soixante-cinq pages, guidé par l’auteur, nous nous offrons une traversée du monde d’Istanbul. Nous allons de ses lieux phares comme Sainte-Sophie à ses périphéries - les îles Princes depuis lesquelles on voit la rive asiatique d’Istanbul, en s’arrêtant à quelques bonnes adresses – épiceries fines et bonnes tables ne manquent pas. On traverse les odeurs, les saveurs de la ville – on goûte et regoûte ainsi au thé turc très noir. On s’imprègne au passage de ses sentiments - de la joie des jours de fêtes à la mélancolie de l’hüzün qui recouvre comme en arrière-plan Istanbul.

Sous la plume de Sébastien de Courtois, la ville s’incarne : « dans la ville, on devient la ville » écrit-il. Elle prend la silhouette mystérieuse de la jeune femme aimée, Esma, stambouliote racée, dont la présence, toujours par fulgurance, rythme le récit, comme le cœur amoureux de l’auteur qui la décrit. Dans la dernière partie du livre, la jeune femme disparaît, semant le doute dans l’esprit du lecteur : a-t-elle vraiment existé ? Depuis le début, n’était-elle pas qu’une métaphore d’Istanbul ? « Le visage tant aimé n’est plus là » écrit l’auteur cultivant l’énigme, « mais il continue à m’accompagner de ses sourires, le visage d’une femme pour une géographie de l’intime. Une seule femme, un seul regard, un seul amour. L’oubli de soi dans cette cité impénétrable, les deux contours se superposant dans un cadre rendu flou par la chimie des extrêmes »…

La ville, si elle prend le visage de la femme aimée, a aussi celui du peuple d’Istanbul, des « Stambouliotes », auxquels Sébastien de Courtois consacre un chapitre et de longs passages, car pour lui les écrivains voyageurs qui « décrivent leurs ampoules sans jamais dépeindre un lieu ou un visage » n’en sont pas, comme il le déclarait dernièrement dans le journal La Croix. Pour lui, le récit se doit d’être incarné, porté par des corps, des voix, des anecdotes. Aussi, à chaque page de son ouvrage, la vie d’Istanbul est là, rappelant cette phrase de Marguerite Duras sur le voyage : « dans le voyage, il y a le temps du voyage ; ce n’est pas voir et vite, mais voir et vivre ».

Dans Un thé à Istanbul, on voit et on vit. On lit par exemple avec délectation le portrait truculent du kapıcı, Süleyman Bey, le gardien de l’immeuble où vit l’auteur, ou encore celui de sa femme de ménage d’origine gitane, Sultan Hanım. Cela permet à Sébastien de Courtois de décrire alors avec le regard du sociologue tout un monde insoupçonné comme celui des cours d’immeuble, ou méconnu, comme celui des Gitans par exemple, dont on apprend qu’ils sont installés depuis le XVe siècle à Istanbul.

C’est aussi la vie de l’Istanbul ancienne, celle de Stamboul et du quartier européen de Pera, que Sébastien de Courtois nous fait découvrir en nous racontant l’Histoire de son aïeul, Henry, ancien employé de la banque impériale ottomane au début du XXe siècle.

Coloré, exotique à certains égards, et servi par une belle langue polie comme une pierre d’orfèvre, Un thé à Istanbul ne cède pourtant pas à la tentation orientaliste. À aucun moment, l’auteur ne se livre à un portrait irénique et enchanté de la ville. Il n’hésite pas ainsi à décrire sans fard une Istanbul livrée à la recomposition urbaine, injuste et folle : « une ville qui sombre en elle-même, une ville à qui l’on arrache ses ultimes symboles, comme si elle avait été vaincue par des forces obscures » nous dit-il. Il consacre quelque pages à la pauvreté des quartiers délaissés d’Istanbul que les promoteurs immobiliers détruisent pour y construire des « résidences de standing ». Un « monde souterrain et obscur côtoie l’autre ville, celle qui est présentable au grand public » écrit-il.

Dans son ouvrage, Sébastien de Courtois se fait aussi le porte-parole de la Turquie des marges – celle des chrétiens qu’il évoque largement, mais aussi des alévis, des Gitans, des Kurdes. Bref, d’une « Turquie aux mille visages », «  un mélange que l’on ne soupçonne pas au début, une étrange alchimie qui fonctionne toujours » note-t-il.

Au fil des pages du livre et de notre déambulation itinérante, on avance ainsi dans la diversité d’Istanbul, de ses paysages humains et des autres, entre Mer Noire et Mer Méditerranée, Bosphore, « forêts qui rappellent l’Europe centrale » ; dans l’été des Îles aux Princes mais aussi dans le froid de l’hiver, gris, poisseux et sale d’Istanbul auquel l’auteur dédie d’ailleurs de longues pages.

Réaliste et lucide, le livre se conclue par un chapitre consacré aux événements de Gezi, à la « république de Taksim » que Sébastien de Courtois salue avec pudeur.

On sort de cette lecture comme après une longue promenade, rêveur et amoureux. Plein d’Istanbul et de son monde. Riche de ses images, de ses anecdotes, de ses saveurs, et en même temps de son Histoire et de sa littérature, car l’auteur n’hésite pas à citer ses pairs et à émailler son texte des voix de tous ceux qui ont déjà rendu hommage à la capitale ottomane puis turque. Il fait ainsi de notre voyage intérieur un moment éminemment poétique.

Après la lecture d’Un thé à Istanbul, pendant quelques temps, on continue à osciller entre deux mondes, entre les deux rives du Bosphore et ces « mille visages », se sentant empli par une liberté soudaine, car comme le dit René Descartes dans une Lettre à Christine de Suède, que l’auteur a choisi de mettre en exergue d’un de ses chapitres : « me tenant comme je fais, un pied en un pays, et l’autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu’elle est libre ».

Un vrai livre de voyageur et d’arpenteur qui célèbre avec justesse Istanbul, « phare dans la désolation de l’Histoire », et qui donne envie d’y aller boire un thé brûlant servi dans des verres tulipes.

Un thé à Istanbul – Récit d'une ville Sébastien de Courtois (2014). Un thé à Istanbul – Récit d’une ville, collection « Collection "Chemins d'étoiles" », Editions Le Passeur, 275 p. p., ISBN: 978-2368900543 (http://www.le-passeur-editeur.com/les-livres/litt%C3%A9rature/un-th%C3%A9-%C (...)), RIS, BibTeX.

Sébastien de Courtois vit à Istanbul depuis plusieurs années. Il y produit et anime des émissions religieuses pour France Culture. Grand voyageur et spécialiste des chrétiens d’Orient, il est l’auteur de plusieurs livres, dont Les Derniers Araméens (2004), Périple en Turquie chrétienne (2009) et Éloge du voyage. Sur les traces d’Arthur Rimbaud (2013).

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