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L’éditorial du président

Pourquoi Bruxelles doit ouvrir sans tarder les négociations avec la Turquie.

vendredi 16 septembre 2005, par Reynald Beaufort

Turquie Européenne - 15 septembre 2005

Pourquoi Bruxelles doit ouvrir sans tarder les négociations avec la Turquie.

Honte, exaspération et inquiétude... Voila ce que ressent l’Européen convaincu que je suis devant l’attitude irresponsable de nos dirigeants et l’inertie de l’opposition.

Comment dans ce pays en est-on arrivés à tolérer les discours de haine de De Villiers ? Je l’ai entendu lors d’un meeting tenir des propos à propos de l’Islam et des Turcs qui auraient valu à leur auteur un procès de la part des organisations antiracistes, si la cible avait été autre. Il suffisait de remplacer « Islam » par « Judaïsme », « Musulman » par « Juif », « islamisme » par « sionisme » et vous aviez en face de vous Laval à l’époque du régime de Vichy !

J’encourage d’ailleurs vivement les lecteurs à alerter les dites associations par des courriers comportant des citations, afin de les aider à constituer un dossier de plainte pour « incitation à la haine » contre cet anachronisme vivant. Son « livre », « Les Turqueries du grand Mamamouchi » recueil d’approximations, de préjugés et d’âneries xénophobes suffit à lui faire mériter la correctionnelle. Comme on ne peut compter sur la puissance publique, complice par son silence, je fais appel à votre sens citoyen pour mettre un point d’arrêt à ce scandale qui n’a déjà que trop duré.

La politique française nous avait habitué à nombre de volte-face et autres piteux renoncements dans le simple but de gagner quelques suffrages. Mais à l’approche de l’échéance cruciale du 3 octobre 2005, date à laquelle doivent s’ouvrir les négociations d’adhésion de la Turquie, notre Président de la République révèle une fois de plus que rien ne l’arrête s’il s’agit du pouvoir.

Jusqu’ici partisan inconditionnel de l’adhésion de la Turquie, le voici maintenant ajoutant des nouveaux obstacles à cette adhésion au fur et à mesure que celle ci remplit les conditions qui lui avaient été signifiée lors de la décision de décembre 2004. Faut-il rappeler que c’est lui, Chirac, qui en 2002 avait insisté pour que l’UE ne ferme pas ses portes à la Turquie ? Faut qu’il soit tombé bien bas pour lancer l’idée d’un referendum à l’issue des négociations et s’en faire le champion en Europe...

Vous pourriez, vous, accepter sans broncher qu’à la moitié d’une course éprouvante à laquelle vous participez on en change non seulement les règles, mais qu’en outre, on vous dise que même si vous vous conformez à ces nouvelles contraintes, vous pourrez toujours être disqualifié à l’arrivée ? Quelle est l’expertise des citoyens sur un tel sujet justifiant qu’il fasse l’objet d’un referendum ? Sans mépris aucun de ma part pour le peuple, une consultation sur ce sujet revient à faire voter au suffrage universel le bien fondé de la théorie d’Einstein... Seules des commissions d’experts peuvent évaluer la situation juridique, économique et politique d’un pays. Un referendum est de plus bien trop conjoncturel pour que son résultat réponde à une question aussi complexe, l’expérience du Traité Constitutionnel l’a bien montré. Il y a fort à parier qu’un nouvel attentat islamiste dans les mois qui précéderont le vote amènera un non sans appel et ceci même dans l’hypothèse où la Turquie devient d’ici là un modèle dans tous les domaines. Il ne faudrait pas, Mr Chirac, confondre démagogie et démocratie.

Il faut voir dans ces manœuvres, bien sûr, l’effet de l’approche de la présidentielle de 2007 et la conséquence d’un surenchère sur le populisme de son dauphin haï, le très agité Nicolas Sarkozy. Ce dernier n’a comme seule conviction que celle de suivre l’opinion publique, ou du moins l’image qu’en donnent des sondages aux résultats toujours très ambigus et tellement volatils.
Peu lui importe si cette opinion publique file le train à l’extrême droite à cause de peurs instillées depuis des lustres ses amis partisans de la politique sécuritaire. La peur a cela de commode qu’elle permet aux politiciens de se passer de programme et de projet politique : Puisqu’ils sont incapables de faire des propositions positives, ils font des programmes « contre », en quelque sorte l’usage de la « tête de Turc » élevée en système de gouvernement... Les responsables de tous nos malheurs sont évidemment les « Autres » : Les immigrés clandestins, les plombiers polonais, les chinois, les musulmans et donc évidemment...Les Turcs.

Camps de détention, expulsions arbitraires, simulacres de procès, procédures d’exception, on légifère contre l’étranger et l’ « anti-France » comme jamais depuis le régime de Vichy. Mais on continue en même temps de prétendre combattre le racisme et la xénophobie. Et nos analystes politiques sont très surpris que les Français souffrent d’une perte de confiance, de repères et de valeurs ! On ne récolte que ce que l’on sème... 2007 pourrait être une consécration pour nos stratèges : Nous allons avoir le choix entre la politique de Le Pen par l’original ou la même politique légèrement édulcorée par son poursuivant faussement « light ». La peste ou le choléra, quelle enthousiasmante alternative !

Si on m’avait dit un jour que la France deviendrait leader en Europe du repli national, j’aurais souri. Malheureusement, le pire n’est jamais improbable.

Quid de la gauche ? Elle se débat entre l’idée géniale d’appliquer en gros la même politique que la droite au pouvoir et celle, non moins géniale, de s’approprier les idées de l’extrême gauche, qui, on le sait, a toujours fait des scores élevés lors des élections en France. Autant dire que le temps de l’union sacrée autour d’un leader unique et le retour d’un semblant de programme commun risque bien de ne pas avoir lieu, à moins d’un cataclysme, avant le prochain siècle !

Mais revenons à nos « koyun » (moutons en turc). Les Turcs font les frais de cette politique désastreuse et contagieuse. Peu importe si on les humilie, peu importe si on donne raison à leurs nationalistes qui disent que depuis toujours l’Europe ne fait que feindre de vouloir intégrer la Turquie. On ne peut en même temps prétendre vouloir imposer une solution concernant Chypre et faire tout pour ramener au pouvoir en Turquie les plus radicaux des nationalistes.

Nous sommes arrivés au moment où doit se poser la question essentielle : Veut on ou non que la Turquie sorte rapidement de l’autoritarisme, veut-on qu’elle normalise ses relations avec ses voisins, veut-on qu’elle puisse enfin se réconcilier avec son passé ? Je vois venir les nostalgiques des Croisades et du Traité de Sèvres : « C’est du chantage ! » Non, il n’y a pas de stratégie orchestrée là-dessous et ce n’est pas plus du chantage que celui qui consiste à toujours plus exiger de la Turquie sous la menace de ne pas l’intégrer.

Je me demande, et je ne suis pas le seul, si la droite européenne, ne dissimule pas une volonté délibérée de faire en sorte que la Turquie ne sorte jamais de sa condition d’état paria, comme s’ils pensaient à l’instar de l’extrême droite qu’un pays musulman n’a rien à faire dans la « cour des grands ».

Sans mettre en cause l’ensemble de la diaspora arménienne, que dire aussi de l’attitude de ses leaders nationalistes dont la voix étouffe toujours celle des modérés ? Je pense en particulier à un parti (FRA Dachnaktsoutioun) qui prétend appartenir à la gauche, qui est membre de l’Internationale Socialiste et comme tel soutenu par le PS ( !) Cette organisation est en réalité composée de ce qui se fait de pire comme nationalistes revanchards, il suffit de se rendre sur leurs sites et forums pour s’en rendre compte.

Alors que les Arméniens et toutes les autres minorités ethniques ou religieuses de Turquie appellent de leurs vœux l’intégration de leur pays, parce qu’il est évident que leur situation en serait grandement améliorée, ces apprentis sorciers font des pieds et des mains pour l’empêcher. Car enfin soyons clairs, demander à la Turquie de reconnaître immédiatement un génocide arménien qu’elle nie depuis au moins 70 ans revient tout simplement à lui refuser l’entrée. Toute évolution sur ce sujet ne peut être que lente, le gouvernement turc ne peut se permettre de se mettre à dos l’ensemble des nationalistes dans un pays ou cette idéologie n’est pas encore devenue quasi obsolète comme elle l’est chez nous.

L’objectif de ces activistes est-il réellement que la Turquie fasse son devoir de mémoire ou est-il d’obtenir une revanche historique en maintenant la Turquie à l’extérieur de l’Union ? N’oublions pas non plus que l’adhésion de la Turquie rendrait encore plus immuables ses frontières et que ces gens en sont encore à contester la légitimité du Traité de Lausanne ! Certains de nos partis politiques seraient bien avisés de se méfier de leurs fréquentations.

Je pose la même question en ce qui concerne la Grèce, du moins la partie de ses élites nationalistes qui utilise Chypre pour mieux s’opposer à l’adhésion de la Turquie. Car contrairement à ce que voudraient faire croire certains hommes politiques, c’est bien la minorité grecque qui a refusé le plan Annan en 2004 et rendu impossible le règlement du conflit.

L’Europe si exigeante vis-à-vis de Turquie n’aurait jamais dû faire entrer Chypre sans que la réunification soit accomplie. A moins que l’objectif non avoué ait été d’ajouter un nouvel obstacle à la Turquie. En effet, si Nicosie était restée dehors, l’UE aurait pu faire pression sur elle pour quelle accepte un compromis, or dans la situation actuelle, non seulement Bruxelles a perdu ce moyen de coercition, mais elle a mis Ankara en délicatesse avec son opinion publique, son armée et les partis nationalistes. Je n’ose croire que la Commission n’ai pensé aux conséquences pourtant évidentes de cette intégration partielle. Auraient-ils simplement oublié de prendre en compte la situation politique turque, prenant leurs désirs d’efficacité politique pour une réalité ? Après tout, serait-ce si surprenant après l’énorme bourde que fût le traitement du problème de l’ex Yougoslavie ?

Si les pays de l’UE, France en tête, souhaitent vraiment que la Turquie renonce à son nationalisme, il conviendrait d’abord de ne pas lui opposer d’autres nationalismes. Je n’exempte pas la Turquie de toute responsabilité dans ses difficultés, elle a encore devant elle un long chemin. La durée des négociations doit lui permettre de le parcourir, c’est pour cela qu’il faut impérativement ouvrir ces négociations d’adhésion le 3 octobre.

Il faudra laisser ensuite le temps aux élites proeuropéennes turques le temps de convaincre et de former l’opinion à adopter les valeurs de l’Union. Petit à petit, les oppositions s’éroderont, les exigences deviendront des évidences. Rien de pérenne n’est obtenu uniquement par la contrainte. Pour réussir cette avant-garde turque doit avoir un objectif clair à proposer, pas une demi mesure du type « statut privilégié » dont les promoteurs sont bien incapables de dire en quoi il consiste. Si on lui retire maintenant, elle perdra une grande partie de sa crédibilité auprès de la population et les réformes prendront alors beaucoup plus de temps, voir même, si ces humiliations répétées se poursuivent la Turquie pourrait se replier sur l’idéologie dont elle était en train de se débarrasser, un prétendu kémalisme figé et orthodoxe. Ses partisans devraient se rappeler que Mustafa Kemal Atatürk, qui est un des rares dirigeants autoritaires au monde a n’avoir voulu fonder ni dynastie ni oligarchie, a déclaré : « Je ne laisse, en tant qu’héritage spirituel, aucun verset, aucun dogme, aucune règle pétrifiée et figée. Mon héritage spirituel, c’est la science et la raison.(...) ».

Ces défenseurs turcs du statu quo et de l’immobilisme ont beau jeu de se justifier en affirmant que la Turquie est entourée d’ennemis, que les Européens veulent l’affaiblir et la soumettre et que le peuple turc n’est pas encore prêt pour la démocratie. Des évènements récents montrent qu’ils prennent à nouveau de l’assurance. Si l’Europe veut vraiment soutenir les Turcs dans leur accession à la maturité démocratique, il est indispensable quelle n’apporte pas d’eau aux moulin de ces partisans de la réaction. Le moins que l’on puisse constater est que, pour l’instant, certains de ses pays membres et en particulier la France à travers son chef de l’état, sont très, très loin d’une attitude cohérente.

Reynald Beaufort
Président de Turquie Européenne

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