Des officiers à la retraite, des avocats connus et des mafiosi ont été appréhendés la semaine dernière par la police d’Istanbul. Dans l’ombre, ils activent des réseaux et fomentent des assassinats, notamment contre les minorités non musulmanes.
Du scandale de Susurluk au meurtre de Hrant Dink en passant par l’affaire de Semdinli puis celle de l’attentat contre le Conseil d’Etat à Ankara, les noms de ces personnes n’ont jamais cessé d’être cités dans la presse. La justice turque qui n’avait pas pu mener d’instruction contre certains officiers supérieurs impliqués dans le scandale de Susurluk en 97 a mis en examen l’ensemble du réseau Ergenekon qu’elle qualifie de « terroriste ».
Note - Ergenekon est le nom d’une vallée de la mythologie nationaliste turque, sorte de matrice d’où seraient issus les premières peuplades turques et symbolisant pureté et régénération des forces « nationales ».
Le groupe Ergenekon cherchait une arme de type Glock et 2 millions de lires turques pour assassiner le prix Nobel Orhan Pamuk.
Ce groupe qualifié de terroriste par le ministère public turc avait prévu une vague d’assassinats pour préparer le terrain à un coup d’Etat dont la date était fixée pour 2009.
Le minibus chargé de 700 kilos d’explosif retrouvé à Istanbul leur appartenait.
Ils ont reconnu avoir organisé une attaque à main armée contre le président du Mouvement Uni des Forces Patriotiques à Diyarbakir (Sud-est de la Turquie à majorité kurde) pour en accuser le PKK.
Ci-dessous, Murat Belge aborde avec optimisme et réalisme ces derniers développements.
Si cette opération est réellement conduite à son terme, alors il est possible qu’elle soit l’opération la plus importante de la semaine, de l’année, voire de notre siècle. Parce que si elle est sérieusement menée à son terme alors il nous sera possible de dire que la Turquie est désormais devenue un nouveau pays.
Mais en considérant la situation actuelle, il n’est pas possible de se prononcer avec un minimum de certitude non pas parce qu’il nous revient de ne pas nous mêler d’une instruction judiciaire en cours mais aussi du simple fait d’un vrai manque d’informations.
Et l’on ne peut pas dire qu’en considérant les données qui sont diffusées par la presse nous soyons en mesure de nous étonner outre mesure. Ceux dont les noms sont cités, ont des noms qui sont cités depuis combien de temps ? Et puis l’on en arrive jusqu’à un certain point de ce qui semble bien être une véritable chaîne. Mais nous savons pertinemment que cette chaîne ne s’arrête pas là et que de nombreux autres maillons sont encore plongés dans l’obscurité.
Dans la question de savoir si l’on mènera cette enquête à son terme, se tient cette interrogation. La « tête », la partie cachée ne consent-elle à céder que cette partie de ces noms ?
Ainsi, il convient également de tempérer l’optimisme de mes premières lignes en précisant que « les autres sont encore en place et que lorsqu’ils le souhaiteront, ils pourront toujours recommencer ».
J’ai dit à l’instant qu’il n’était guère surprenant de voir ces noms cités. Les journaux de jeudi dernier nous rapportaient que l’une des cibles était Orhan Pamuk, qu’une arme de type Glock devait être achetée et qu’on réunirait l’argent pour payer le tueur… Il est bien entendu important de noter qu’Orhan Pamuk ait pu être une cible. Ce qui signifie que le nationalisme « turc » était bien décidé à prendre pour cible le seul Turc ayant obtenu un prix Nobel.
Mais ce qui me semble plus significatif encore, c’est cette notion de « cible ». C’est-à-dire le fait que ces gens ne puissent exister que par le meurtre. Je pense alors à tout ce que j’ai vécu ; à tous ceux qui ont été assassinés depuis les Vedat et les Taylan puis tous ceux qui disparurent dans les années 70… Ces meurtres furent stoppés lors de la période du coup d’Etat dans les années 80. Puis ils reprirent pour nous mener jusqu’à aujourd’hui. Et cette fois, ce sont les Chrétiens, Hrant Dink, le père Santoro… ou alors un magistrat. Sur la liste : Ahmet Türk, Orhan Pamuk.
Ils ne savent pas faire autre chose de leurs mains. Seulement tuer et rien d’autre.
Et puis ils le font. Avec succès. Et ils recommencent.
Si vous demandez pourquoi, on vous répondra que c’est pour la patrie !
Combien de personnes assassinés jusqu’à aujourd’hui ?
De Abdi Ipekçi à Ümit Doganay ? A Cavit Tütengil ? Et la patrie ne serait pas encore sauvée ? Combien de meurtres encore pour sauver la patrie ?
Et tout cela, ce n’est pas à ceux qu’on a appréhendés les jours derniers qu’il faut le demander mais bien à tous ceux qui les soutiennent par leurs actes et leurs pensées ? C’est-à-dire à tous ceux que comprend l’expression « partie cachée » ? Qu’en dites-vous ?
Cela suffit-il ? Doit-on s’arrêter là ? Ne peut-on pas trouver un autre moyen de « sauver la patrie » ? Non ? Avez-vous trouvé ?
L’un de ceux que cette dernière opération a conduit derrière les barreaux est un général de brigade en retraite… Veli Küçük. Pour ma part, c’est un nom que j’ai entendu pour la première fois prononcé lors du scandale de Susurluk. A cette époque, il jouissait comme d’une sorte d’immunité. Il accepta alors d’être interrogé par trois généraux d’active. Qui décidèrent de ne pas donner suite à l’instruction. Comment se fait-il qu’il n’ait pas été inquiét ? Cela signifie bien qu’il y a des gens qui ont fait en sorte qu’il puisse jouir d’une telle immunité… De qui s’agit-il donc ?
Puis nous n’avons plus cessé de voir son nom cité, çà et là. Aujourd’hui parmi les personnes arrêtées. Hier en photo avec les prévenus dans l’affaire de ceux qui ont assassiné un juge du Conseil d’Etat. Nous ne savons pour l’instant pas ce qui va suivre dans cette affaire. Que ne peut-il pas se passer dans le pays des Susurluk, des Semdinli ; dans le pays qui a fait ce qui est arrivé au procureur de Van ?
Tout cela signifie qu’après le scandale de Susurluk, la carrière et la mission de ce monsieur n’a pas pris fin. Pouvons-nous affirmer qu’elle s’achève aujourd’hui ?
Il peut bien continuer. A sauver la patrie.