Mardin (Turquie) Envoyé spécial
Assaillie par le printemps, la forteresse de Mardin est envahie par des bataillons de fleurs sauvages jaune safran qui se mêlent au vert des herbes folles et à l’ocre de la roche. Etalées sur les flancs de ce piton rocailleux, à 1 000 mètres d’altitude, les maisons de pierre rectangulaires de cette petite ville du sud-est de la Turquie, située à 30 kilomètres de la frontière syrienne, se dévoilent sous leur plus beau jour.
Les charmes de Mardin sont longtemps demeurés un secret bien gardé, dans cette région à majorité kurde, quadrillée par les check-points et les garnisons militaires. En 2000, seulement 60 000 étrangers venaient goûter les saveurs des lieux. Dix ans plus tard, la fréquentation atteindra un million de visiteurs annuels.
Les Français aussi commencent à s’intéresser à ce joyau de la Mésopotamie turque, situé hors des sentiers battus, aux confins orientaux du pays. La Saison de la Turquie, qui s’est terminée début avril, leur a permis de découvrir un peu mieux un territoire et une culture infiniment plus vastes que les habituels circuits organisés qui mènent à Istanbul ou sur les plages d’Antalya. Le cap du million de touristes français devrait être franchi en 2010.
Dans les ruelles de Mardin, c’est une autre atmosphère que l’on vient humer. Un enchevêtrement de cultures et de peuples. Historiquement à majorité arabe, assyro-chaldéenne et arménienne, repeuplée de Turcs et de Kurdes, plus récemment : la mosaïque de Mardin, que la Turquie veut aujourd’hui promouvoir après l’avoir longtemps niée, est tout cela à la fois. Au fil des siècles, les influences se sont mêlées, comme les parfums des épices dans le dédale de venelles du petit bazar central. Les clochers des onze églises de la vieille ville et les neuf minarets des mosquées se fondent gracieusement dans le paysage.
« Etre de Mardin passe avant toute origine ethnique ou orientation religieuse, affirme Davut Beliktay, le directeur de l’office du tourisme local, qui arpente quotidiennement sa ville, l’appareil photo en bandoulière. C’est la cité vivante des civilisations, où l’on parle indifféremment quatre ou cinq langues. » Cette richesse est en partie restituée dans le musée flambant neuf, ouvert en octobre 2009 par les Sabanci, une puissante famille de mécènes d’Istanbul. La galerie, installée dans une bâtisse ancienne ceinte de verre, retrace plus de 5 000 ans d’histoire. « Les premières traces de civilisation remontent à 15 000 ans avant J.-C. », relate même le guide.
Mardin a ensuite vu défiler les Romains, les Byzantins, les Perses, les Abbassides, les Hamdanides, les Seldjoukides... Et surtout les Artoukides, une dynastie turcomane qui régna sur les lieux de 1108 à 1408. C’est sous leur domination que furent construits les hammams et les madrasas, ainsi que les plus belles mosquées de la ville, à commencer par la Grande Mosquée (Ulu Cami), datant du XIIe siècle, avec son minaret sculpté et sa cour intérieure où les fidèles viennent faire leurs ablutions à l’ombre des arbres en fleurs.
La ville haute est hérissée de clochers, surplombe la place de la République, percée moderne dans cet ensemble urbain millénaire. Les églises sont syriaques, chaldéennes, arméniennes... La plus ancienne, l’église des Quarante-Martyrs, date de 569.
Autrefois majoritaire, la présence des chrétiens se réduit désormais à quelques dizaines de familles à Mardin. Pas de quoi remplir les nefs. Les Arméniens ont quasiment tous disparu avec le génocide de 1915 et les syriaques sont partis nombreux en France ou en Suède.
Avec le développement du tourisme, les projets se multiplient et redonnent à Mardin un nouveau souffle. L’église Rouge, la principale église arménienne, va être remise sur pied. Les maisons syriaques et artoukides sont restaurées, transformées en hôtels de charme ou en lieu de villégiature pour Turcs aisés.
Le couturier Cemil Ipekçi a ouvert un atelier de la mode dans la vieille ville et une biennale d’art contemporain a vu le jour. Sa deuxième édition sera organisée au mois de juin.
Le potentiel de la ville est convoité. Les Hôtels Hilton vont ouvrir un établissement au pied du rocher et des bâtiments modernes défigurent déjà le paysage. Ce nouvel essor pourrait aussi menacer l’harmonieux équilibre, si le précieux patrimoine de la ville ne fait pas l’objet de mesures de protection rapides. Mardin espère être classé au Patrimoine mondial de l’Unesco d’ici à 2014.
- Y aller
Air France et Turkish Airlines relient plusieurs fois par jour Paris et Istanbul (3 h 15, environ 350 €, aller-retour). La compagnie nationale turque dessert quotidiennement Lyon et Nice (environ 350 €). D’Istanbul à Mardin : un vol chaque matin avec Turkish Airlines (1 h 50, environ 100 €).
- Se loger
Erdoba Evleri : cet hôtel propose des chambres (100 €) et des suites (à partir de 200 €) confortables et modernes. Le bâtiment principal comprend une terrasse panoramique avec vue sur la vallée proche. Erdoba.com.tr ;
Antik Tatlidede Hotel : dans une belle maison, au cœur de la vieille ville (80 € la chambre). Tatlidede.com.tr.
- Se restaurer
Gergis : le meilleur établissement de la ville revisite les saveurs de la cuisine assyrienne de Mardin. L’assiette de mezze, qui marie la noix, la grenade, le poix chiche et l’aubergine, une merveille. Cumhuriyet Cadessi.
- A voir
Le monastère de Deyruzafaran, datant du Ve siècle, la vieille ville de Midyat, important centre de la communauté assyro-chaldéenne, à une heure de route de Mardin. A 140 km, le site grandiose d’Hasankeyf.
- A lire
Guide du routard Turquie, (Hachette, 2010, 599 p., 12,90 €).
Guides bleus Turquie (Hachette, 2009, 832 p., 28,90 €).
Lonely Planet Turquie (2009, 748 p., 28 €).