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Génocide arménien : prise de conscience turque

lundi 26 avril 2010, par Laure Marchand

Un collectif d’associations turques a appelé à un rassemblement, samedi, pour rendre hommage à la mémoire des victimes du génocide de 1915.

Sur la rive asiatique d’Istanbul, les voyageurs qui descendent du train à Haydarpacha risquent d’avoir un choc, ce samedi : à l’occasion du 95e anniversaire des massacres d’Arméniens par l’Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale, l’Association des droits de l’homme réclamera devant la gare que l’État turc reconnaisse le génocide.

C’est de là que partit le premier convoi de déportés arméniens. Sur la place de Taksim, le cœur névralgique de la mégapole, les badauds auront également droit à une leçon d’histoire qui ne figure pas dans les manuels scolaires. Durde, un collectif d’associations turques, a appelé à un rassemblement pour rendre « hommage à la mémoire des victimes de 1915, silencieusement et vêtu de noir ». « Environ 1,5 million d’Arméniens, 15% de la population de l’époque, ont été tués ou déportés et ils n’ont même pas de tombe, explique Cengiz Algan, un des initiateurs du rassemblement. Notre démarche n’est pas une révolution, mais une contribution pour que les Turcs se confrontent enfin à leur histoire. »

C’est en tout cas une étape supplémentaire dans le long travail de reconnaissance du génocide engagé par une partie de la société civile turque. Près d’un siècle après les massacres de centaines de milliers d’Arméniens, c’est la première fois que des manifestations défient sur la voie publique le « négationnisme » de l’État.


Restaurer les églises

En 2005, le lancement des négociations d’adhésion à l’Union européenne avait fait souffler un vent de liberté en Turquie et les universitaires turcs avaient brisé le tabou du génocide en organisant une conférence sur ce non-dit de l’histoire. Deux ans plus tard, l’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink a réveillé les consciences d’une avant-garde démocratique.

Le mois dernier, les votes d’une résolution sur le génocide arménien par une commission de la Chambre des représentants aux États-Unis et par le Parlement de Suède ont déclenché des crises diplomatiques avec la Turquie. Pour Ankara, gardienne de la thèse officielle, le danger vient désormais aussi de l’intérieur.

Travaux d’historiens, documentaires, débats télévisés et ouvrages se multiplient. Film après livre, un passé occulté rattrape le présent et, avec lui, la part arménienne cachée de l’identité de la Turquie. Même les municipalités d’Anatolie se mettent à restaurer les églises arméniennes, alors que depuis sa création en 1923, la République turque avait tenté d’effacer toute trace de la présence arménienne, au mieux en laissant s’écrouler ce patrimoine, au pire en le rasant.

Transmission orale

Paru à l’automne dernier, Les Petits-Enfants fait témoigner des descendants d’Arméniens qui ont échappé aux massacres et qui ont été en partie assimilés au fil des décennies. Ce recueil lève le voile sur le sort caché de ces milliers d’enfants, des filles le plus souvent, adoptés ou enlevés par des voisins musulmans. À l’exception d’un seul, tous les petits-enfants y racontent leur secret de famille anonymement. « Ce livre est un défi envers ce dont on a peur, la peur est centrale dans toutes les histoires racontées, déclare Aysegül Altinay, une des coauteurs. Mais en partageant leur vie avec les lecteurs, ils disent basta ! »

Selon Cengiz Aktar (*), un des auteurs d’une campagne de pardon pour la « Grande Catastrophe » -l’appellation désignant le génocide chez les Arméniens-, qui a recueilli plus de 30 000 signatures sur Internet, la seule façon de contourner le négationnisme est désormais de « mener des actions pour développer une politique de mémoire, conduire un travail pédagogique auprès de la population ». Afin de faire émerger une conscience commune, un projet turco-arménien s’est ainsi attaché à collecter dans les familles des histoires relatives au génocide. L’étude montre qu’une transmission orale a lieu en dépit du silence imposé dans la sphère publique.

Dans les familles, des récits se murmurent de génération en génération. « En privé, même si les témoins ne sont plus en vie, ce qui s’est passé est un secret de Polichinelle, explique Leyla Neyzi, anthropologue turque qui a supervisé le recueil des récits. Cela peut s’exprimer de façon inconsciente, mais même les anecdotes disent la culpabilité. » Comme ce vieillard qui s’est mis à raconter, quand il est devenu sénile, qu’il avait jeté des enfants arméniens dans la rivière. Les fantômes hantent toujours les mémoires. « Résultat, ajoute cette enseignante à l’université Sabanci d’Istanbul, les Turcs sont totalement schizophréniques. » Pour eux, être en paix passera par l’acceptation de leur responsabilité dans l’extermination d’un peuple qui vivait en Anatolie, sur la même terre que la leur.

(*) L’Appel au pardon, CNRS éditions.

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Sources

Source : Le Figaro du 23 avril 2010

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