Recep Tayip Erdogan, le premier ministre turc, vient de dévoiler à l’occasion d’une visite à Diyarbakir, le « grand » projet du gouvernement AKP pour le Sud est anatolien (GAP).
C’est un projet sur lequel l’AKP qui a séduit l’électorat de la région lors de l’élection législative de juillet dernier, était particulièrement attendu. Mais il a déçu bien au-delà des mouvements pro kurdes proprement dit. Lire pour cela l’article de Guillaume Perrier paru récemment dans Le Monde.
Certes l’État envisage d’injecter des sommes conséquentes dans la région la plus défavorisée du pays - le PIB par habitant y est deux fois plus faible que celui de la moyenne nationale - mais la pierre angulaire de ce projet reste l’accélération du GAP. Depuis son élaboration à la fin des années 70, ce projet est présenté comme la solution miracle au développement de la région et au règlement de la question kurde, perçue par Ankara comme une question essentiellement sécuritaire et un problème de sous-développement économique.
Qu’est-ce que le GAP ?
Stéphane de Tapia, géographe et chercheur au CNRS, a dressé un tableau très clair et très complet de ce projet dans le cadre des rencontres du festival de géographie de St Dié en 2003.
Le Guney Anadolu Projesi (Projet d’aménagement du Sud-est Anatolien) est un vaste projet d’aménagement du territoire.« Ce chantier consiste en la création de plusieurs dizaines de barrages destinés à maximiser la ressource en eau que représente le château d’eau qu’est l’Anatolie orientale. Deux fleuves en sont issus, l’Euphrate et le Tigre. Ils prennent leurs sources en Anatolie orientale, irriguent l’Anatolie sud-orientale (qui correspond en grande partie à la Turquie kurdophone et arabophone), avant de traverser territoires syrien et irakien. » [1]
Largement entamés ces grands travaux (construction d’une vingtaine de barrages, mais aussi d’infrastructures, autoroutes et réaménagement d’aéroports) répondent dès leur origine à plusieurs objectifs. Ils devaient favoriser le décollage économique de la région dont la vocation agricole devait être valorisée grâce à la création d’un périmètre irrigué de 1 800 000 hectares. Associée à l’amélioration des infrastructures, la production d’hydroélectricité devait quant à elle favoriser son industrialisation.
Ils visent aussi à intégrer à l’espace national, et à la nation turque tout court, cette région quelque peu indocile et restée longtemps enclavée. Le GAP dispose aussi d’un volet social et est à l’initiative ou partenaire ( avec des organismes internationaux comme l’UNICEF ou le BIT) d’un certain nombre de projets destinés à la formation, à l’enfance ou à promouvoir l’émancipation des femmes. Enfin ces grands barrages sur des cours d’eau qui irriguent aussi les pays voisins donnent évidemment une dimension géopolitique au projet.
Les limites d’un grand projet de développement
Or force est de constater que trente ans après le début des grands travaux ces objectifs ambitieux sont loin d’être atteints. Seul le département de Gaziantep a réellement été intégré à l’espace national. L’irrigation de la région d’Urfa et sa nouvelle vocation cotonnière a plutôt renforcé la main-mise sur les terres agricoles les plus riches de grands propriétaires terriens auxquels de nombreux petits agriculteurs qui s’étaient endettés pour moderniser leur exploitation ont été contraints de céder leur bien. Bien qu’il soit devenu la principale région productrice d’énergie hydroélectrique du pays, le Sud-est reste sous industrialisé et en proie à un chômage et à un sous-emploi endémiques. Les modifications climatiques ont entraîné de nouveaux problèmes sanitaires avec le développement de maladies comme la malaria ou la dysenterie.
Les causes de ces ratés dans cette zone instable sont multiples, mais les critiques à l’égard du GAP ne manquent pas en Turquie. Outre celles qui s’alarment des dégats écologiques et des catastrophes archéologiques qu’ont été l’enfouissement de sites comme celui de Zeugma ou celui programmé d’Hasankeyf, ce sont essentiellement l’absence de véritable volonté politique – raison notamment du « retard de la réforme agraire indispensable dans une région connue pour être celle des grands propriétaires terriens » [2]- et l’absence de concertation avec les représentants politiques ou de la société civile kurdes qui sont pointés.
Toujours la même absence de véritable volonté politique ou crainte exagérée de réactions négatives en ces temps de turbulences pour le parti au pouvoir ? Les deux sans doute. Toujours est-il qu’Ankara ne propose une fois de plus que de vieilles recettes à une région qui a toutes les raisons de douter de leur efficacité à la remettre d’aplomb. Certes les crédits conséquents qui sont injectés dans la région ont fait et feront encore des petits et quelques grands heureux. Mais tant que ses habitants seront si peu écoutés, il est à craindre que la « fraternité » (kardeslik) de la nation tant vantée par l’AKP reste une formule vide de sens. Et que ce rendez-vous avec la région kurde soit un rendez-vous manqué de plus.
Pour en savoir davantage sur le GAP
Nous vous invitons vivement à lire l’article de Stéphane de Tapia, mis en ligne sur le site du festival de géographie de St Dié.
Pour lire l’article
Pour accéder aux autres articles publiés par le festival de St Dié 2003 autour du thème : « L’eau, source de vie, source de conflits ».