Les discussions sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne sont entrées, hier, dans une phase décisive. A trois semaines du sommet européen de Bruxelles, les diplomates ne parlent déjà plus du fond : l’ouverture des négociations avec Ankara, recommandée par la Commission, est considérée comme acquise, malgré les réticences de l’Autriche et de Chypre. Reste à régler la forme, c’est-à-dire les dates : quand ouvrir les négociations entre Bruxelles et Ankara ? Quand et comment les fermer ? Sur ces deux questions, les Vingt-Cinq sont encore divisés.
La bataille des dates a débuté, hier, à La Haye, en marge de la rencontre ministérielle entre Abdullah Gul, le chef de la diplomatie turque, et Bernard Bot, le Ministre des affaires étrangères des Pays-Bas. « Les négociations pourront débuter courant 2005, si tout se passe bien », a confié la présidence néerlandaise au ministre turc. « C’est aux Etats membres de décider, le 17 décembre », a ajouté Bernard Bot.
D’ici là, la Turquie doit encore faire quelques efforts. Ankara doit mettre en application six lois sur la liberté d’associations, de culte, et la procédure pénale. Surtout, le gouvernement doit faire « un geste » en faveur de Chypre, nouvel Etat membre de l’Union, toujours pas reconnu par Ankara.
La présidence de l’Union a également averti la Turquie, hier, qu’elle risquait fort de se voir imposer par les Vingt-Cinq une « période de screening » de quelques mois avant l’ouverture officielle des négociations. Cette procédure très technique consiste à planifier l’adaptation de l’acquis communautaire. Elle pourrait commencer début 2005 et s’étaler sur quelques mois. La Turquie, méfiante, y voit un moyen de lui imposer un délai supplémentaire. « Il s’agit d’un biais pour retarder l’allumage », confirme un diplomate à Bruxelles. Un « allumage » trop rapide des négociations, au premier semestre 2005, poserait trop de problèmes à la France.
D’après plusieurs sources communautaires, Paris a décidé d’organiser son référendum sur la Constitution en mai ou juin 2005. Au-delà de cette date, les sondeurs ne parient plus sur une victoire du « oui ». La Turquie passera donc après. L’Elysée veut éviter que l’ouverture des négociations avec Ankara se déroule avant le référendum sur la Constitution, au risque de devenir un argument incontrôlable des partisans du « non ». C’est la raison pour laquelle Michel Barnier insiste pour une ouverture la plus tardive possible de la procédure d’adhésion avec Ankara. « Fin 2005 ou début 2006 », suggère-t-il. Les autres Etats membres, notamment l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ne sont pas sur la même ligne. S’ils sont d’accord pour laisser passer la date du référendum français, ils refusent d’attendre fin 2005 ou début 2006. Londres et Berlin estiment ces dates lointaines incompatibles avec la promesse, faite par les Quinze en décembre 2002, d’ouvrir « sans délai » les pourparlers avec Ankara.
Dans cette affaire de dates, la France semble encore isolée. Elle compte rallier à ses vues l’Autriche, très sceptique sur la Turquie, le Luxembourg, qui assure la prochaine présidence tournante de l’Union, et peut-être la Hongrie, sa plus fidèle alliée à l’Est. La Grande-Bretagne, suivie par les nouveaux Etats membres, réclame une ouverture beaucoup plus rapide des négociations, si possible avant juillet 2005. L’Allemagne de Schröder, très favorable à Ankara, sera l’arbitre de cette nouvelle bataille. Consciente du « problème » français, Berlin refusera a priori d’hypothéquer l’avenir de l’Union européenne sur la question turque. Réponse le 17 décembre.