Elle fut pendant dix ans la seule femme membre du Medef turc.
L’œuvre d’art dans son bureau, qu’elle présente avec un plaisir évident, symbolise le mélange de tradition et de modernisme qui caractérise sa compagnie : des tasses à café turc, plusieurs d’entres elles encore tachées de marc, sont déployées sur le mur pour former une carte de la Turquie. « Le café est important pour nous, il représente l’hospitalité », explique Güler Sabanci, avec un sourire chaleureux.
Cette femme de 49 ans a été portée à la tête du vaste conglomérat familial - le second plus important de Turquie - après le décès, en avril, de son oncle Sakip, qui l’avait dirigé pendant des décennies. Les activités de Sabanci Holding s’étendent de la banque à l’automobile, de l’électronique aux produits alimentaires, du textile au ciment.
Le groupe est coté en Bourse, mais 80 % des actions restent dans les mains de la famille Sabanci, dont la fortune est estimée par la revue américaine Forbes à 3,2 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros). Le chiffre d’affaires consolidé du groupe, qui a formé de nombreuses alliances avec des entreprises étrangères comme Carrefour, Du Pont, Toyota ou BNP Paribas, s’élevait à 7,3 milliards de dollars en 2003, pour un bénéfice net de 583 millions.
D’une voix rauque, Mme Sabanci raconte la trajectoire qui l’a menée de la ville d’Adana à ce vaste bureau clair et aéré au sommet d’un gratte-ciel d’Istanbul.« Je suis la première des petits-enfants, née dans une famille traditionnelle. Mon père était l’aîné de six garçons », explique-t-elle. Son grand-père, Haci Omer Sabanci, était passé de la cueillette du coton à l’industrie textile, avant de diversifier les activités de la compagnie, jusqu’à sa mort en 1966.
Après des études à l’université du Bosphore, Güler Sabanci a rejoint, à la fin des années 1970, Lassa, la compagnie de pneus que le groupe venait de fonder. « Mon oncle n’a pas hésité. Il n’a jamais pensé que l’industrie du pneu ne convenait pas à une femme, explique-t-elle. Je voulais débuter dans une société jeune, avec laquelle je pourrais grandir. C’était un projet neuf et excitant à l’époque : un partenariat avec les Américains, des technologies nouvelles. »
SON LOISIR : LE VIGNOBLE
Après avoir pris la tête de la compagnie Kordsa, qui produit des câbles de renforcement pour les pneus, elle est entrée à la Tusiad - le Medef turc - où pendant dix ans elle est demeurée la seule femme, ce qui ne l’a pas empêchée d’assumer la vice-présidence de l’association.
C’est en partie sous son influence que le groupe Sabanci a lancé les premières coentreprises en Turquie. « Ces partenariats requièrent une gouvernance et une attitude différentes. Vous devez appliquer des standards internationaux de management et gérer la diversité. Nous avons beaucoup appris les uns des autres », explique Mme Sabanci.
Sous sa houlette, Sabanci Holding va désormais réduire la gamme de ses activités pour se concentrer sur plusieurs secteurs primordiaux : la finance - Akbank est aujourd’hui considérée comme la banque la plus solide de Turquie -, l’automobile et les pneus, l’alimentation et la vente au détail, le ciment, ainsi que le textile. « Dans une compagnie comme la nôtre, vous ne pouvez pas faire de changements radicaux, explique Mme Sabanci. Vous fixez des buts à cinq ou à dix ans et vous manœuvrez le bateau dans cette direction. »
Un projet lui tient particulièrement à cœur : l’université Sabanci, qui a ouvert ses portes en 1999. Un campus très moderne, aux portes d’Istanbul, où 2 500 étudiants reçoivent une éducation libérale. « La famille m’a confié le projet en 1995. Nous avons organisé une conférence avec des académiciens, des hommes d’affaires, des organisations non gouvernementales pour définir ce que serait l’université idéale du XXIe siècle », explique-t-elle.
Un des loisirs favoris de Mme Sabanci, c’est son vignoble, situé dans la province de Thrace.« La demande pour le vin est en croissance spectaculaire en Turquie », explique-t-elle. Elle produit 35 000 bouteilles par an, commercialisées sous le label « G », comme Güler. « Le vignoble m’a appris la patience. Vous plantez le raisin puis vous devez attendre cinq ans », dit-elle. Prenant ce rôle de vigneronne très au sérieux, elle a « importé des plants de Bordeaux, car le terrain et le climat sont favorables au cabernet et au merlot, raconte-t-elle. Je suis sûre que nous pouvons produire des vins aussi bons qu’à Bordeaux. »