Parmi les noms des nations appelées à jouer un rôle essentiel dans le déploiement d’une éventuelle force de paix au Liban, ceux de la France et de la Turquie sont parmi les plus cités. Alors que la tentation autoritaire de faire une incursion dans le nord de l’Irak contre le PKK à l’instar de ce que fait Israël contre le Hezbollah dans le sud du Liban se fait pressante dans les éditos des organes conservateurs, Ankara n’est pas sans avoir conscience du rôle diplomatique qui lui incombe, du fait de ses relations, comme de celui qui pourrait être le sien en cas d’implication dans la zone, notamment aux côtés des Européens. Taha Akyol, chroniqueur à Milliyet, se penche sur la question et ouvre le débat.
J’ai quelque peu examiné la question à partir de sources en provenance des Affaires Etrangères : pourquoi la Turquie serait-elle intéressée par la possibilité d’envoyer des troupes dans le cadre de la force de maintien de la paix au Liban ?
L’une de mes sources participant activement aux négociations en cours répond de la sorte :
Le maintien de la stabilité au Moyen-Orient comme le renforcement du gouvernement libanais actuel de Fuad Sinyora est dans l’intérêt de tous et notamment de la Turquie. Il est normal que nous puissions contribuer à un tel effort. Mais les conditions se doivent également d’être favorables !
Et il les énumère de la façon suivante :
Un tel déploiement doit se faire sous égide de l’ONU. Celle de l’OTAN ne correspond pas aux particularités de la région. Mais la logistique doit en être assurée par l’OTAN.
La force de maintien de la paix doit être constituée, une fois acquis le cessez-le-feu. Dans le cas contraire, il faudrait que la force de maintien de la paix prenne part aux combats. Et comme ceci serait contraire aux buts fixés en principe à une force de paix, la Turquie n’enverrait pas de soldats au feu.
La composition de cette force de maintien de la paix doit être de nature à inspirer la confiance à chacune des deux parties au conflit. Elle ne doit nullement apparaître comme anti ou pro-Israël. C’est dans cette optique que les deux pays les plus souvent cités pour cette force sont la Turquie et la France. Naturellement la présence d’autres nations est tout à fait possible et d’ailleurs leurs noms circulent également.
Les mécanismes de commandement et les règles d’engagement de cette force doivent également être très précisément définis.
Le Liban et l’Irak !
Ces conditions auxquelles on réfléchit dans le cadre d’un éventuel engagement de la Turquie sont nécessaires à la fonction d’une force dont la mission serait de maintenir la paix dans le sud Liban. Prendre et jouer un rôle actif dans une telle force est conforme aux intérêts nationaux de la Turquie :
Le Liban est un pays fondé sur une mosaïque d’identités ; un pays qui a connu une guerre intestine entre ses communautés. Aujourd’hui, comme l’Irak est en proie à une guerre qui vire à l’affrontement inter communautaire, c’est un régime du type libanais qui est en train de s’y établir. Et en vérité, il faut reconnaître que le Moyen-Orient est une région où ni les frontières ni les identités ne sont encore établies. Les identités ethniques et religieuses sont encore vivaces, fortes et conflictuelles. Il est assez difficile de dire quelles seraient les conséquences d’une forte secousse au Liban. C’est la raison pour laquelle
La Turquie soutient fortement le gouvernement libanais actuel, ainsi que la stabilité et l’intégrité du pays. La force de maintient de la paix doit être en mesure de sérieusement contribuer à une telle perspective.
Le rôle de la Turquie
La crise lancée avec cette agression d’Israël sur le Liban ne s’arrêtera pas rapidement. On constate qu’Israël n’a pas rencontré le succès escompté d’un point de vue militaire et que malgré le soutien inconditionnel des USA, les réactions du monde entier ne cessent de monter.
De l’autre côté, il n’en est pas moins vrai qu’en réponse aux politiques cyniques des gouvernements arabes, la réaction de peuples arabes va grandissant.
On ne sait comment éclateront ces tensions accumulées dans un Moyen-Orient qui est la contrée du radicalisme et du pétrole, ni de quoi exactement elles sont porteuses !
Dans un tel contexte, la Turquie figure comme un pays « ocidental » et dans le même temps ne manque pas de nouer et développer de bonnes relations avec les pays de la région, Iran y compris. Ces relations prennent parfois même une forme institutionnalisée. Et c’est en raison de ces relations-là qu’aujourd’hui les USA ou bien l’UE, voire Israël souhaitent ouvertement, lorsque le temps est venu d’expliquer quelque chose à l’Iran ou à la Syrie, que ce soit la Turquie qui se charge de rentrer dans le jeu !
Et c’est bien parce que l’on se rend compte du rôle ô combien déterminant que peut jouer et que jouera la Turquie dans une normalisation de la situation libanaise, que l’Occident comme les pays de la région ressentent le besoin de confier à la Turquie une mission de toute première importance dans le cadre d’une force de maintien de la paix. Et ceci renforcera encore les atouts diplomatiques de la Turquie.
Regardez donc un peu : les USA multiplient aujourd’hui les signes annonçant des mesures concrètes contre les activités du PKK en Irak. Les bureaux de ce mouvement sont fermés les uns après les autres à Bagdad. Par le biais d’une participation à cette force de maintien de la paix au Liban, la position régionale de la Turquie sortira renforcée, et contribuera favorablement à l’avancement de nos relations avec l’UE dans le cadre du processus d’adhésion.