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’Civilisé’ et ’sauvage’

samedi 4 mars 2006, par Marillac, Murat Belge

© Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 21/02/2006

L’historien et éditorialiste Murat Belge, nous fait part de ces impressions de voyage lors d’un récent séjour au Canada. Des écureuils à la notion de progrès et de civilisation.

© Radikal, le 21/02/2006

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Nous nous promenons dans Montréal. Dans un endroit boisé, de très nombreux écureuils roux. L’amie qui m’a invité à venir prendre la parole au Canada explique : « Autrefois j’étais plutôt tentée de penser que l’écureuil était un animal adorable
-  Et il ne l’est plus ?

-  Il peut toujours l’être, poursuit-elle. Mais depuis que je suis devenu propriétaire d’un jardin, j’ai pris conscience du fait qu’il pouvait aussi être nuisible. »

Le lieu dans lequel nous nous promenons même s’il n’est pas situé en dehors de la ville, est un lieu boisé et campagnard. Mais en se promenant dans la ville nous pouvions voir des écureuils seuls ou en couple. Maintenant j’écris ces lignes depuis Toronto. Ici, je n’en ai pas vu de roux mais des noirs ou des gris.

Mais amis en Angleterre (quand je vivais à Oxford) se plaignaient des écureuils. Ce qui signifie qu’il doit y en avoir de nuisible.

Michaella passe alors de l’écureuil au « rakun » (raton-laveur). Il s’agit-là d’un animal qu’on trouve en Amérique du Nord et que vous pouvez comparer à un cambrioleur ou un brigand masqué du fait de la bande de pelage noir qui lui recouvre les yeux. Outre l’apparence, ce sont d’ailleurs ces méthodes qui évoquent celles du brigand. C’est toute une famille de rakuns qui a élu domicile sous la maison d’un de ses voisins. Et en protéger le jardin n’est assurément pas une sinécure. Désormais c’est la mairie et tous les organismes chargés de ce genre de problèmes qui ont pris l’affaire en main.
On a trouvé de quoi les trouver mais pas de quoi répondre au problème. Les équipes en charge du dossier se chargent de capturer ces animaux à temps et de les conduire un peu plus loin. Mais les protecteurs des animaux devaient s’opposer à ces pratiques.
Pendant leur capture puis leur transfert, les animaux seraient victimes du stress. Et sur ces plaintes, on devait cesser cette activité.
Quand Michaella a entendu cela au téléphone, elle a répondu qu’elle aussi elle était une femme stressée par les rakuns. « Ce n’est pas grave, madame, lui a-t-on alors répondu. « Vous vous pouvez prendre un tranquillisant. Les animaux non. »
Et c’est ainsi que Michaella essaye tant bien que mal de faire cohabiter sa passion du jardinage avec les rakuns, les écureuils et... Et oui, il y en a bien d’autres, les taupes, les porcs-épics ...
Et certainement doit-elle de temps à autre recours aux effets d’un tranquillisant.

C’est en évoquant ces situations que je me suis rendu compte combien les concepts de « civilisation » et de « nature » étaient différents dans notre pays. Les nuits à Oxford, nous entendions les cris des renards. A Londres, mon ami Hikmet me racontait toutes les espèces d’animaux « sauvages » comme les belettes qui rendaient visite aux jardins.
Et oui, tel est le concept de « sauvage ». Ces deux concepts opposés l’un à l’autre « civilisation » et « sauvagerie » que nous avons à l’esprit. Bien évidemment, je ne parle pas ici que de la Turquie. Je ne crois d’ailleurs pas que la situation soit si différente en Iran voire en Grèce ou en Bulgarie.

Être �civilisé� implique de ne pas contenir de choses qu’on dit �sauvages�. Et pour cela dans des pays comme le nôtre, sans parler des villes, dans les montagnes et les prairies mêmes il ne reste plus d’animal sauvage, les derniers sont en voie d’extinction.
Or les gens qui vivent ici au Canada et qui sont dans un processus de modernisation et d’urbanisation plus poussé que le nôtre ont le souci de se poser la question de savoir comment il serait possible de se livrer à leurs propres activités sans porter atteinte à la vie naturelle. Dans cet esprit, le « civilisé » ne détruit pas le « sauvage », ne le tue pas mais cherche plutôt à créer un lieu où lui serait loisible de vivre par et pour lui-même.

Si vous me demandez pourquoi, je vous répondrai que j’attribue cette situation au fait que cette chose que nous appelons « modernisation » provient directement du c�ur de ce pays ou ces pays. Ce qui devait leur apprendre qu’il est nécessaire de contrôler et impératif de se montrer plus responsable, plus conscient face à une chose qu’on a produite soi-même. L’urgence du genre « mince quel retard ai-je pris ! Comment puis-je désormais les rejoindre ? » n’a pas prise ici. Par ailleurs, ils sont bien plus conscients de ce que la modernisation ou la technologie qu’ils ont produite est en mesure de détruire. L’important étant ici de comprendre qu’il s’agit d’un massacre et d’être prêt à prendre toutes les mesures pour le prévenir ou en réparer les conséquences. C’est la raison pour laquelle cohabiter ici avec l’écureuil n’est pas source de « honte pour les attardés » : au contraire, c’est un signe de « progrès ».

© Radikal, le 21/02/2006

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