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Petite suite turque

mercredi 4 avril 2007, par Aydın Engin

© Marillac et Turquie Européenne pour la traduction

J’écris cet article au matin du 21 mars. C’est-à-dire au matin de cette fête que l’Etat dit « Nevruz » que les Kurdes disent « Newroz » et qui, pour moi, peu importe la façon de l’écrire est une fête telle que doit l’être une fête. Et ici en l’occurrence, celle des peuples célébrant la fin d’un long, triste et rude hiver et cette bonne nouvelle du printemps.

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Et dans des conditions naturelles, il convient d’écrire un billet de fête. Mais voyez donc un peu ce qui se passe chez moi. L’œil rivé au clavier de mon ordinateur ; l’oreille aux aguets du son des nouvelles qui s’affichent sur l’écran de la télévision ; et mon esprit allant de l’un à l’autre.

Une mauvaise nouvelle va-t-elle nous parvenir de Diyarbakır (ou bien de Van, de Şırnak, de Bitlis, de Hakkari ou de İstanbul) ? Les suppôts de la violence, tous ceux qui en tirent profit et qui n’existent que par elle vont-ils vraiment, une fois de plus….

Mon imagination et mes souvenirs en appellent le flux incessant. Et mon esprit épuisé d’ainsi courir d’œil en ouïe résiste et me murmure cette question :
« Admettons qu’au soir de ce Nevruz tout se soit bien passé dans le pays. Et puis ensuite ? »

Ma raison a raison.

Et ensuite ?

Toutes ces unités amassées depuis des jours à la frontière irakienne n’ont-elles été positionnées que pour prévenir des infiltrations ou bien s’en servira-t-on pour atteindre une bien vaine solution en Irak en s’abandonnant encore une fois dans les bras d’un Morphée militariste ?

Disons que sagesse et droiture (personnellement, je parlerais plutôt de « gauchure ») l’aient emporté. Disons que l’on ne se soit pas livré à ces solutions militaires qui créent plus de problèmes qu’elles ne seront jamais capables d’en résoudre. Mais ensuite ?

En plein mois d’avril, prétextant des élections présidentielles, les nouveaux rangs réactionnaires collés aux basques des généraux se lanceront dans l’organisation de meetings. Et la question stupide lancée en l’air « laïcité ou démocratie ? » de s’installer tant bien que mal mais inéluctablement au premier plan de l’agenda politique du pays. « La laïcité est une condition sine qua non de la démocratie ; un composant essentiel. Séparer les deux revient à dire qu’on ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs » : tous ceux qui oseront élever la voix et réagir de la sorte verront leurs efforts annihilés sous le vacarme des autres.

Et ensuite ?

23 avril. Fête de la souveraineté nationale.

Célèbrera-t-on une fête ou bien entendra-t-on les tenants de la « turcité » au sens racial et pur du terme donner à nouveau de la voix pour se fendre de leurs fameux appels au meurtre proférés sur le refrain du « mourir, être tué et tuer » ?

Le jour suivant : 24 avril. La décision du Congrès américain sur le génocide arménien ; l’ouverture de l’église arménienne de Akhtamar feront en sorte que, qu’on le veuille ou non, tous les regards soient tournés sur la question arménienne.

La suite ?

Fin avril. Les dirigeants de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) qui viennent de comprendre que la politique relève moins de la transparence que de l’art de la manœuvre annonceront le nom de leur candidat à la présidentielle. Quant à ce qui suivra, on pourra toujours appliquer ce bon mot de Sadik le couturier :
« Tu peux bien dresser autant de cubes que tu voudras vers le ciel, si tu retires le premier, contemple le fracas ! »

Suite...

A mi-mai, le nom du nouveau Président de la République sera-t-il connu ?
D’après certains, nous risquons une fois celui-ci connu de revenir 100 ans en arrière.

Quant à moi, je ne manquerai pas de me demander si un tel retour ne serait pas en fait préférable ? 100 ans plus tôt, nous étions en 1907. Soit juste un an avant la révolution Jeune Turc. Peut-être alors que nous ne reproduirons pas les mêmes erreurs ; nous ne rentrerons pas en guerre en suivant les Unionistes à la queue leu leu ; peut-être que 1915 n’arrivera jamais ; peut-être enfin que nous tirerons des leçons des fautes commises depuis 100 ans…

Selon d’autres Nostradamus de la politique, l’élection de ce Président verra la fin de l’époque de tutelle bureaucratique et le début d’une ère de « véritable souveraineté du peuple ».
Rien de tout cela n’adviendra. Parce que lorsque les critères de démocratie se réduisent à envoyer les citoyens devant les urnes une fois tous les quatre ans et à être en mesure de décider si la « first lady » doit ou non porter le voile, cela signifie bien que nous sommes déjà 100 ans en arrière sur la voie de la démocratie.

Ensuite ?

Les questions présidentielles iront peu à peu en s’apaisant. Parce que le temps est une race de monstre qui émoussant, élimant toutes les controverses est capable de les rendre obsolètes. Mais par la suite, nous poserons les pieds sur le ce plan incliné des élections législatives…
Et ce, pour quatre ou cinq mois…
La suite ?

Assez. Laissons en un peu pour la suite. Ce n’est même pas que cette suite suffit. Elle déborde même. Je viens de la dresser pour les heures, les jours, les semaines et les mois qui nous attendent.
Et c’est un tel calendrier que ce qui suivra pourra bien attendre son tour. Veillons déjà à nous tirer d’affaire les jours qui suivent.

Si du moins, nous sommes en mesure de nous tirer d’affaire.

- Aydın Engin est éditorialiste à AGOS après l’avoir été pendant des années à Cumhuriyet qu’il a quitté pour dérives « conservatistes ».

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