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La Turquie doit apprendre à vivre avec l’Etat kurde irakien

samedi 3 mars 2007, par Can Dündar, Marillac


© Marillac et Turquie Européenne pour la traduction
© Milliyet 18/01/2007

Alors que tout le monde cherche à déchiffrer les codes de la déclaration du MIT (services secrets turcs), je me suis permis de poser la question à un homme qui a déjà dirigé cette institution : Sönmez Köksal.

« Qu’a donc bien pu vouloir dire le MIT par cette déclaration ?
- Très certainement les choses que je viens de dire ici … », a-t-il répondu.

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Je vais donc les résumer ici, ces choses qu’il a dites :

Pas une exécution, un lynchage

Rappelons pour commencer que Köksal a été ambassadeur de Turquie en Irak sous le régime de Saddam (86-90)…
C’est une vraie douleur pour lui de voir ainsi cette ville de Bagdad qu’il aime et où il a noué de vraies amitiés ainsi livrée au chaos et à l’horreur. Les images de l’exécution de Saddam ne l’ont pas peu affecté. « Ce fut un lynchage », lâche-t-il. « Ce n’est pas une chose acceptable. »

La guerre civile ira s’aggravant

Il est pessimiste quant à l’avenir de l’Irak :
«  Cette exécution de Saddam est une nouvelle grave erreur des USA… Elle est le signe de l’écroulement total de l’Etat…Comme le début, en somme, de nouveaux développements encore plus tragiques. Cette exécution creusera encore les fossés qui existent ; aggravera encore la guerre civile.
L’Irak continuera de se diluer jusqu’à ce que l’une des parties s’épuise. Nous avons atteint le point de non-retour…
 »

Le lobby pétrolier entre en lice

Bien, mais comment se fait-il que les USA s’obstinent ainsi dans l’erreur ?
Köksal lance une question, à la cantonade :
« Le fait que l’administration US à Washington comme à Bagdad commette de telles erreurs suscite toute une série d’interrogations dans l’esprit des gens : n’y a-t-il pas là un plan destiné à accélérer la partition, à aggraver les dimensions de la guerre civile ? »

Un plan oui, mais de quel type ?
Jusqu’à l’occupation du Koweit, les USA entretenaient de très bonnes relations avec Saddam, se souvient Köksal…
« Comment se fait-il que d’un seul coup tout cela ait basculé ? », se demande-t-il.

Il y a deux éléments de réponse :
- la politique israélienne
- et l’entrée en lice, après la guerre, du lobby pétrolier qui conduit à un changement de cap politique.
L’objectif principal devenant celui de la garantie à long terme des approvisionnements en pétrole de l’occident…

Un marchandage USA-Iran ?

Köksal souligne les privilèges accordés à quatre sociétés pétrolières occidentales dans le cadre de la nouvelle loi sur le pétrole votée en Irak.
Oui, mais tant que règne la guerre civile, comment sécuriser les puits de pétrole en sécurité ?

En expliquant son hypothèse, Köksal attire notre attention sur un détail très intéressant :

« On dit que ceux qui donnent des armes aux Chiites, qui les manipulent et qui propagent une haine anti-américaine, ce sont l’Iran et la Syrie. Mais de l’autre côté, les mêmes forces détiennent une majorité à l’assemblée, susceptible d’offrir aux géants US du pétrole d’énormes avantages au travers de la loi.
C’est dire qu’un certain nombre de marchandages peuvent avoir lieu de façon à ce que la guerre se poursuive d’un côté et que de l’autre on s’arrange dans ces domaines.
 »

« En formant de nouvelles alliances, de nouveaux partenariats, les puissances globales gagnent en moyens. Il faut s’attendre à des surprises. Le nœud de l’affaire se trouve en Iran. Il n’y a qu’en s’entendant avec l’Irak que l’on parviendra à tirer la région vers un peu plus de calme. Si les USA se retirent, ce ne sera qu’avec l’assurance d’un tel marchandage. Sinon, il est clair que des renforts militaires n’y pourront rien… »

Et la Turquie que fera-t-elle ?

"Nous avions par le passé une certaine politique de collaboration sur les questions de sécurité avec l’Irak. Ensuite l’Etat irakien a disparu. Il nous faut changer de point de vue. Il est des phénomènes qui résultent de ce chaos.

Il est un Etat. C’est-à-dire que Talabani et Barzanî sont parvenus à s’entendre et qu’ils ont créé une certaine structure étatique. C’est dire qu’aujourd’hui il n’y a plus de ligne rouge dans la politique turque. Il est une réalité. Il nous appartient de savoir dès lors quelle sera notre attitude en face de cette réalité nouvelle.
- Vous dites que la Turquie doit apprendre à vivre avec cette réalité.
- Bien sûr, bien sûr…
"

La clé : l’Iran

Que peut faire la Turquie plutôt qu’attendre et voir ?

Köksal revient à l’Iran… Il rappelle comment Téhéran a soutenu les Kurdes pendant la guerre Iran-Irak. La Syrie et l’Iran pour mettre sous l’éteignoir leurs propres questions kurdes ont accordé beaucoup d’importance à la politique kurde en Irak.

« Les ouvertures de la Turquie ne peuvent donner de résultats qu’en fonction des politiques iraniennes au Nord de l’Irak. Et Ankara doit développer des politiques en ayant cela à l’esprit. L’Iran, la Syrie et le Liban seront toujours sur la scène. »

Pour finir, retour à la question du début :

« Qu’a voulu dire le MIT avec cette déclaration ? ai-je demandé.

- Très certainement ce que moi j’ai voulu dire.. . Soyons réalistes. Tout change dans la région. Il n’est plus possible de maintenir les anciens discours. »

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