Cinq heures chrono : c’est le temps que Nicolas Sarkozy a accordé aux Turcs, lors de sa récente visite express à Ankara. Une fois de plus, les Turcs furent bien contents de l’excessif honneur qui leur était fait de recevoir sur leur sol un président français : le dernier en date avait été François Mitterrand… en 1992. Et de toute façon, l’Elysée avait bien précisé que le chef le l’Etat ne faisait pas le déplacement au nom de la France, mais de la présidence du G20. Nuance…
Dans tous les cas, le temps où les Turcs se sentaient sincèrement peinés de nos désinvoltures européennes semble tout à fait révolu. Cette visite n”est « pas à la hauteur de l’amitié entre la France et la Turquie », a sobrement déploré le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, à la veille de cette visite dont il n’espérait sans doute pas grand chose. Les temps ont changé…
Que pèse aujourd’hui la France dans le concert des nations ? La question mérite d’être posée. Et les multiples bourdes commises ces derniers temps par la diplomatie française ne risquent pas de redorer un blason déjà bien terni. Le constat est amer sous la plume de Marly, ce groupe anonyme de diplomates qui viennent de sortir de leur réserve en dénonçant une politique étrangère « placée sous le signe de l’improvisation et d’impulsions successives ».
Je me souviens d’un de mes articles, publié en octobre 2004, dans le Figaro, intitulé « La déception des francophones d’Istanbul ». C’était au lendemain d’une soirée passée chez mon amie Piyâle Madra. La dessinatrice humoristique avait invité quelques amis, déjà effondrés par l’état des relations franco-turques et ce qu’il considéraient alors comme une amitié trahie. Parmi tous ses convives, c’est Piyale qui, selon moi, avait trouvé les mots les plus justes pour prendre la mesure des réticences pleines de circonvolutions qui se déployaient déjà, à Paris, pour faire barrage à la Turquie et à ses ambitions européennes : « Dans le débat qui se développe en France, il n’est pas vraiment question, au fond, de la candidature turque, mais plutôt de la France, de son identité… et de son déclin. »
Eh, oui. Comme le chantait l’inoxydable Michel Sardou : le temps béni des colonies … c’est fini. Fini la belle époque où, comme l’a rappelé l’excellent docu-fiction diffusé mercredi 23 sur Arte, l’Europe se partageait l’Afrique en buvant du porto à la conférence de Berlin, en 1885. Et traçait à la règle les frontières d’un continent qui n’en demandait pas tant. A ce sujet, il faut lire aussi le tableau des conséquences d’un tel système dans Le Voyage au Congo d’André Gide (Gallimard, 1927). Et se souvenir aussi de l’avidité européenne qui présida aux derniers jours de l’Empire ottoman, cet « homme malade de l’Europe » dont on s’efforçait de hâter la fin pour mieux s’en partager la dépouille de vieil éléphant à bout de souffle.
Pourtant, la vie à Istanbul n’était alors pas si différente de celle que l’on menait à Paris. Dans les années 1930, sur les rives du Bosphore, on parlait (encore) souvent le français. Les hommes avaient abandonné le fez (dommage !), en faveur du chapeau. Et, comme chez nous, les femmes se plaignaient souvent de leur mari. Comme nous le raconte Piyâle, petite sœur de notre Bretécher nationale.
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Dessins Piyale Madra
Article original sur le blog de Marie-Michèle Martinet