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Turquie : pas de paix au Kurdistan sans empathie

dimanche 17 juillet 2011, par Reynald Beaufort

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Cérémonie dédiée aux martyrs en Turquie

Toujours la litanie de l’horreur : vingt morts de plus le 13 juillet dernier dans ce conflit qui n’a que trop duré (il aurait fait 45 000 morts au total. Combien de mutilés et de traumatisés ? Il n’existe aucun chiffre). Quand le gouvernement d’Ankara se décidera-t-il à engager des négociations pour mettre fin à ce conflit fratricide en arrêtant enfin de se cacher derrière le petit doigt de la soi-disant « guerre au terrorisme » ?

13 soldats et 7 jeunes Kurdes viennent encore de tomber dans un conflit absurde qui dure et durera encore longtemps malgré les moyens militaires énormes mis en jeu par les autorités turques. On ne vainc pas une guérilla soutenue - quoi qu’en dise la version officielle – par une majorité des populations kurdes et même au-delà par les milieux d’extrême gauche non ethniques. Au contraire, chaque nouvelle victime, chaque « martyr » (şehit) qu’il soit du côté « légaliste » ou « rebelle » augmente le ressentiment, la colère et un racisme latent, nié ou ignoré.

Le responsabilité de la presse, en particulier de la télévision, est énorme. La douleur, bien sûr légitime, des mères est mise en scène dans un spectacle nationaliste et militariste affligeant dont les images passent en boucle sur toutes les télévisions. Les journaux eux étalent des photos de cadavres anonymes (les visages sont pratiquement toujours recouverts) et plus ou moins sanguinolents assortis des photos des cartes d’identités des martyrs. Pas d’analyse, de l’émotion brute sortie de son contexte, laissant croire que les malheureux soldats sont les victimes gratuites de brutes sanguinaires, à qui d’ailleurs on refuse le statut d’êtres humains ; on doit les désigner exclusivement par le vocable « terroriste » sous peine d’être soupçonné de sympathie avec le PKK. Pas un mot de l’histoire et du parcours des ces jeunes combattants dont une partie significative sont des jeunes femmes. Il n’est pas question de risquer de s’apitoyer, le sentiment qu’on veut susciter est uniquement le désir de vengeance et rien d’autre.

Le plus étonnant pour un observateur extérieur est que cette mécanique infernale fonctionne, des gens en Turquie, qu’on penserait plus avisés, ingurgitent cette infecte potion sans se poser aucune question. L’ignorance de la réalité de la répression, qui a connu son point culminant dans la deuxième partie des années 1990, est incroyable mais réelle et à la mesure du black-out respecté par la presse nationale depuis le début du conflit. [1]
On entend des réflexions telle que « les Kurdes ont tout obtenu, il ne paient même pas l’eau et l’électricité (sic !), ils ont leurs télévisions et peuvent parler leur langue, que veulent-ils d’autre sinon le démantèlement de la Turquie ? Ensuite (si l’on cède), il faudra donner des territoires aux Lazes, aux Zazas aux Géorgiens... » Le discours paranoïaque (de Sèvres) habituel, le système éducatif turc peut être fier, le message est bien passé !

Pas un mot bien sûr des populations déplacées, des expropriations, des villages brulés par l’armée, des exactions des groupes paramilitaires, pas un mot des morts du côté des maquisards et aucun lien fait avec le refus de l’institution militaro-judiciaire d’accepter des partis pro-kurdes comme des interlocuteurs légaux sous le prétexte commode que certains de leurs affiliés auraient « des liens avec une organisation terroriste illégale ». Comment pourrait-il en être autrement quand il n’existe plus une seule famille dont un membre n’ait eu à déplorer une victime de la répression impitoyable menée depuis des décennies. Combien de gens ont été menacés emprisonnés, torturés et forcés à l’exil sous cette accusation arbitraire d’avoir « des liens avec une organisation terroriste illégale » ?

Jamais dans le monde un gouvernement n’est venu à bout par le force d’une guérilla ayant des revendications légitimes et soutenue par une fraction aussi importante de la population (les Kurdes représentent, suivant les estimations, de 20 à 30 % de la population de la Turquie).

Il n’y aura pas d’autre issue, comme l’ont montré le confit d’Irlande du Nord et celui avec les Basques de l’ETA en Espagne, que de s’asseoir à une table de négociation avec des interlocuteurs reconnus et élus par les Kurdes. Pour cela, deux choses sont nécessaires : le rejet de la guerre et de la violence politique ainsi qu’un minimum d’empathie envers les souffrances de chacun. Le chemin à parcourir reste long, l’humoriste Cem Yilmaz a récemment été boycotté pour avoir publiquement affirmé que les combattants du PKK tués dans les montagnes étaient eux aussi des martyrs.
Oui, le PKK a indéniablement une lourde responsabilité dans ces drames, mais il serait souhaitable qu’autour de la minorité d’intellectuels qui pointent le doigt sur les tares de la société turque, les partis d’opposition en particulier le CHP – qui est étrangement membre de l’Internationale Socialiste – prennent enfin ce problème à bras-le-corps. Cela doit commencer par la diffusion à grande échelle d’une information différente et impartiale sur le conflit.

Why ? Affiche antimilitaristeFaudra-t-il que la jeune génération mette la « crosse en l’air » rejoignant les mouvements d’objection de conscience pour qu’enfin il soit mis fin à ce conflit anachronique ? La Turquie prétend converger vers les standards internationaux des Droits de l’Homme, elle doit maintenant renoncer à un jacobinisme suranné et au culte de la violence.

On m’a souvent sommé de choisir mon camp, je refuse de le faire, les responsabilités dans la non-résolution du confit sont partagées, mais il est évident que c’est le détenteur du pouvoir légal qui doit faire les premiers pas en mettant en place une réelle démocratie. Cela passe par une refonte de la constitution et l’instauration d’une réelle égalité entre citoyens. Les Kurdes ont effectivement la possibilité de voter et d’être élus, mais leur représentation est rendu quasi impossible par le seuil des 10 % de voix pour siéger à la Grande Assemblée Nationale et le tracasseries judiciaires dont sont en permanence victimes leurs élus.

La mort de ces 13 soldats est terrible, mais celle des 7 combattants kurdes l’est tout autant, eux aussi sont des êtres de chair et de sang et furent des enfants, eux aussi ont des mères, des parents qui les ont aimés, admettre cette réalité serait déjà un pas. Le second serait d’essayer de comprendre pourquoi un jeune homme ou une jeune femme en arrive à faire le choix d’aller se faire tuer dans les montagnes. Il n’est pas rare que des enfants issus des même villages de l’Est se retrouvent face à face armes à la main après avoir partagé les mêmes jeux dans la cour de récréation.
Oui, Jacques, je l’affirme avec toi : « (...) quelle connerie la Guerre ».

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Notes

[1Il faut préciser que la quasi-totalité de la presse écrite est détenue par le même groupe Doğan, une autre partie est proche de l’AKP, parti au pouvoir et que le reste est très marginal. Très rompus à l’autocensure aucun quotidien et encore moins canal de télévision ne s’aventure à montrer une attitude différente quand il s’agit du tabou kurde.

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