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Turquie diplomatie : Les nouveaux horizons de la diplomatie turque

mercredi 21 avril 2010, par Guillaume Perrier

Guillaume Perrier, Istanbul

« Notre axe, c’est Ankara et notre horizon a 360° C », résume Ahmet Davutoglu. Nommé il y a moins d’un an, après avoir été le principal conseiller diplomatique du président, Abdullah Gül, et du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, depuis 2003, le ministre turc des affaires étrangères est l’architecte de la nouvelle diplomatie turque, à l’œuvre sur tous les fronts. Il enchaîne les visites à l’étranger, multiplie les contacts et les médiations. Longtemps perçue sur la scène internationale comme un nain diplomatique, la Turquie revendique désormais une place parmi les puissants. « Nous avons beaucoup de choses à dire. Les grandes nations vont nous entendre », avertit le ministre, qui a orchestré l’offensive.

Cet universitaire fin et cultivé, professeur de sciences politiques, met aujourd’hui en pratique sa théorie peaufinée à la fin des années 1990. Sa thèse, « la profondeur stratégique », redéfinit la place de la Turquie dans son nouvel environnement international. « Depuis la chute du mur de Berlin, la Turquie peut se projeter comme un pouvoir régional et agir sur une aire étendue, utilisant toutes ses facettes », analyse Cengiz Çandar, éditorialiste spécialiste de politique étrangère. Ankara n’est plus cantonné à son rôle de « pilier oriental » de l’Alliance atlantique. Dans un ordre mondial multipolaire, la Turquie peut exprimer son identité européenne et occidentale, mais aussi sa dimension moyen-orientale, caucasienne ou balkanique…

Cette nouvelle orientation commence à ses frontières : autrefois en conflit avec la plupart des pays limitrophes, la Turquie de M. Davutoglu applique aujourd’hui le principe de « zéro problème avec ses voisins ». Au bord de la guerre avec la Syrie en 1999, elle entretient désormais d’excellents rapports avec Damas : les deux pays ont organisé deux conseils des ministres communs fin 2009 et supprimé les visas. L’influence turque progresse aussi en Irak, malgré le refus de s’engager aux côtés des Etats-Unis en 2003. Les rapports avec le puissant voisin iranien se normalisent et la coopération se renforce avec la Grèce. Un processus de réconciliation historique a même été entamé avec l’Arménie.

Surnommé « le Kissinger turc » par l’ambassadeur américain à Ankara, M. Davutoglu redessine à petits pas l’environnement de la Turquie. C’est lui qui a poussé la Syrie et Israël à dialoguer, en 2007-2008, assurant la navette entre les délégations à Istanbul. Sur l’Afghanistan, il prône, le premier, le dialogue avec les talibans et porte la voix des pays musulmans à la conférence de Londres, en janvier. A Téhéran, il tente d’infléchir la position du président Mahmoud Ahmadinejad sur le nucléaire iranien. Dans les Balkans, il relance le dialogue entre Serbes et Bosniaques… De la Macédoine aux Philippines, partout la médiation turque est sollicitée.

La Turquie redevient un acteur central au Moyen-Orient, où elle tire profit de l’affaiblissement de l’Egypte et de l’Arabie saoudite. Istanbul est de nouveau un phare régional. A Gaza, la popularité du premier ministre Erdogan est à son comble depuis que, au Forum de Davos en 2009, il a publiquement renvoyé dans les cordes le président israélien, Shimon Pérès, après l’opération « Plomb durci » menée à l’hiver 2008 contre Gaza. Les Turcs reprennent pied au Maghreb et en Asie du Sud-Est, où leur gouvernement fait figure de modèle pour le monde musulman. Utilisant l’Organisation de la conférence islamique (OCI), Ankara a signé de nombreux traités de libre-échange et des accords de libre circulation avec près de soixante pays. La Turquie retrouve ainsi son aire d’influence naturelle, de l’Atlantique au golfe Persique, comme au temps du califat et de l’apogée de l’Empire ottoman. La stratégie de M. Davutoglu, un musulman pieux, est souvent qualifiée par ses détracteurs de « néo-ottomane ». Certains, tels que l’ancien ambassadeur Faruk Logoglu, l’accusent même de tourner le dos à l’Occident et aux alliés traditionnels de la Turquie : Etats-Unis, Israël et Azerbaïdjan.

Le ministre turc réfute tout « néo-ottomanisme ». « Les deux piliers de la diplomatie turque restent l’Union européenne et l’OTAN », argumente-t-il. Malgré un net ralentissement des négociations d’adhésion à l’UE, ouvertes en décembre 2004, les réformes menées par le gouvernement turc ont suivi, peu ou prou, le chemin de Bruxelles. Les liens avec les Etats-Unis se sont nettement renforcés depuis l’élection de Barack Obama, dont l’une des premières visites avait été consacrée à la Turquie en avril 2009. A Washington, seuls les cercles républicains, proches des intérêts militaires, s’offusquent du dialogue de la Turquie avec l’Iran et la Syrie.

Loin de tourner le dos à l’Occident pour embrasser le monde musulman, la Turquie a l’ambition de défendre une place singulière, induite par sa situation géographique et stratégique unique. « Notre pays doit prendre confiance », répète le diplomate en chef. Ankara, membre du G20, a été élu membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Ses liens se sont renforcés avec le monde russe et dans toute l’Europe orientale. Ses diplomates partent à la conquête du monde, explorent de nouvelles problématiques. La Turquie célèbre en 2010 l’Année du Japon. Elle a noué d’importants partenariats avec le Brésil. Et elle s’est lancée dans une offensive sans précédent en Afrique.

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Sources

Source : Le Monde, le 20.04.10

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