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Tripatouillages cartographiques…

… Ou « comment mettre la géographie au niveau de mon labrador »

samedi 16 juin 2007, par Philippe Couanon

Nicolas Sarkozy a une obsession : empêcher une adhésion pleine et entière de la Turquie au sein de l’Union Européenne, par tous les moyens : Lui proposer un partenariat privilégié avec l’UE, créer une Union Méditerranéenne (qui pourrait s’appeler UMP2… en ajoutant le « P » de « Piège à C.. ») dans laquelle la Turquie jouerait un rôle majeur, user de son droit de véto d’Etat membre pour stopper les négociations…

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C’est clair : le Petit Mamamouchi de l’Elysée ne veut pas cohabiter dans les Conseils Européens avec des Cappadociens, des Asiates mineurs… et des Islamistes… Déjà qu’il lui a fallu cohabiter des années avec le Calife-Chirac, partisan d’Ankara… Maintenant qu’Iznogoud a pris sa place… plus rien ne l’arrêtera dans sa croisade triomphale pour sauver l’identité européenne des hordes anatoliennes !

Dernière phobie : fixer les frontières de l’Europe

Sa dernière trouvaille pour arriver à ses fins : Fixer, ad vitam aeternam, les frontières de l’Europe. Pour ce faire, il entend imposer à Bruxelles la création d’une commission d’experts chargée d’élaborer un projet qui devra être approuvé lors du conseil de Décembre. Vaste chantier en perspective, car, il faut rappeler :
-  L’Europe n’est pas un continent au sens géographique du terme, mais constitue une partie de l’Eurasie.
-  Les « frontières » communément admises ne sont que des limites informelles établies pour des raisons politiques ou simplement pratiques.
-  La dimension géographique n’a jamais été un critère sélectif dans l’esprit des initiateurs de la communauté européenne, comme ne le sont pas les facteurs culturels et religieux ; pour Jean Monet, l’Europe était un projet politique, générateur de solidarité, d’amitié et de paix entre les peuples… et il s’est bien gardé d’en fixer les frontières.
-  Le premier chef d’Etat à avoir affirmé le caractère européen de la Turquie fut le général De Gaulle… dont l’UMP sarkoziste continue de revendiquer l’héritage ! Le pauvre « Grand » doit se retourner dans sa tombe lorsqu’il voit les orientations diplomatiques de son « petit » successeur… en totale contradiction avec les siennes !
-  La commission de Bruxelles et une majorité d’Etats membres restent favorables à la poursuite des négociations avec Ankara… Sarko risque d’avoir du mal à imposer un projet qui exclurait la Turquie de facto.
Reste aussi la dernière difficulté, et non des moindres : établir les conditions d’appartenance/exclusion à l’Europe ! Et selon quels critères politiquement corrects… Les valeurs de démocratie, de Droit de l’Homme et de liberté ? Il n’y a rien de plus fluctuant ! L’identité culturelle de l’Europe ? Encore faudrait-il qu’il en existât une ! La laïcité ? Oui, mais laquelle ? La polonaise, la grecque, l’allemande, la française… ? Le contexte géopolitique ? Trop aléatoire ! Bonjour le casse-tête !

Allez, je vais être charitable pour aider ce pauvre Monsieur Sarkozy ; d’abord avec quelques suggestions pour attendrir ses interlocuteurs turcs :

- Se convertir à l’Islam et imposer le voile à Cécilia… et à Rachida
- Proposer l’un de ses fils en mariage à la fille d’Erdogan… un mariage forcé, ça fait très islamiste !
- Exiler Johnny Halliday au Kurdistan
- Aller passer ses vacances en Turquie… en faisant mouiller le Paloma au large d’Antalya ou Bodrum
- Acheter une résidence secondaire à Kusadasi… avec intérêts d’emprunt défiscalisables… bien sûr !
- Demander l’adhésion de la France à la CEMN… ce qui donnera à la Turquie la satisfaction de refuser… pour cause de non appartenance géographique !
- Reprendre le trémat qui a disparu du « O » de « Sarkozy »… ça ferait plus turc !
- Rebaptiser la Place de la Concorde en « Place Atatürk »
- Imposer la pause Raki au milieu du conseil des ministres avec dégustation de « croissants »…
… La liste n’est pas exhaustive ! Et puis, pour son combat géographique, je lui proposerai quelques guides cartographiques en conformité avec ses orientations… Ils peuvent lui servir de base pour son projet de fixation des frontières de l’UE !
Pour ce faire, les contours traditionnellement admis, et qui n’ont aucune valeur scientifique, historique ou humaine, méritent quelques petits aménagements… même si cela doit complexifier à l’extrême le tracé : la justesse de l’enjeu vaut bien quelques sacrifices mineurs ; ne s’agit-il pas de « sauver l’Europe politique » et la préserver du « Cheval de Troie djihadiste » qui menace de pervertir l’identité judéo-chrétienne de notre beau continent ?

On s’aligne !

A la base, nombreux étaient ceux qui admettaient comme délimitation commode les frontières communément admises, comme simples repères cartographiques ; d’ailleurs, la question n’a effleuré le microcosme politique qu’à l’issue du conseil de Copenhague (10 / 12 / 1999) qui a accepté officiellement le principe de la candidature turque à l’UE. Ces limites, au niveau de la zone qui nous intéresse, empruntent la mer Egée, la Mer de Marmara avec les détroits des Dardanelles et du Bosphore, traversent la Mer Noire, suivent la ligne de crêtes du Caucase et rejoignent la Caspienne… où elles se perdent dans les méandres des intérêts pétroliers des états riverains.
Et puis, il y a eu le pavé VGE, jeté dans la mare du projet turc, qui utilisa ces données traditionnelles pour déclarer que « la Turquie n’est pas un pays européen puisque 97% de son territoire et sa capitale sont en Asie ». Beaucoup d’autres lui ont emboîté le pas à l’instar de Bayrou, Védrine, de Villiers… mais le champion toutes catégories, celui qui a fait siennes ces thèses puisées dans les manuels de Mallet-Isaac de l’entre deux guerre : c’est le divin Sarko, celui qui a reçu dans son berceau la grâce de la science infuse et des certitudes incontournables qu’il assène avec un profond mépris pour ceux qui sont en désaccord ; quelques morceaux choisis : « La Turquie, c’est l’Asie Mineure, pas l’Europe », « A l’école, j’ai appris que la Turquie est un pays du continent asiatique » ou encore « si la Turquie était en Europe, ça se saurait »… Au royaume des évidences gratuites, Nicolas 1er est roi… que dis-je : EMPEREUR !!! Signalons lui tout de même que le terme « Asie Mineure » s’appliquait à une circonscription administrative de l’Empire romain… et qu’il n’est plus utilisé depuis pour désigner une entité géographique ! Son utilisation, aujourd’hui, est aussi absurde que le serait celle de « Gaule » pour qualifier la France du XXIe siècle… ou celle de Cappadoce pour la Turquie ou l’Anatolie !
Ceci dit, l’alignement traditionaliste n’empêche pas ses adeptes d’accorder des dérogations d’européanité et de se livrer au petit jeu des ajouts.

On ajoute !

Première entorse, et de taille : Chypre, située bien à l’Est du Bosphore et à portée de vue des côtes libanaises et syriennes. Combien de voix se sont élevées dans la classe politique parisienne pour indiquer que l’île était géographiquement asiatique ? Il est vrai que l’adhésion consistait à intégrer la République chypriote, grecque et chrétienne… en laissant dehors la communauté turque… et en créant les conditions d’un prétexte au refus de la candidature turque puisqu’Ankara ne reconnaît pas Nicosie… Bien joué !
La Transcaucasie chrétienne (Géorgie et Arménie) est elle européenne… bien qu’à 1500 kms à l’Est du Bosphore et au Sud des crêtes caucasiennes ? N. Sarkozy en visite officielle à Tbilissi au printemps 2006, a implicitement apporté une réponse positive puisqu’il a déclaré : « qu’il ne verrait pas d’objections à une future candidature géorgienne à l’UE »… et tant pis si cela contredit ses chers et antédiluviens manuels scolaires ! Concernant l’Arménie, l’appartenance de la République et du peuple arméniens à la sphère européenne, sont une évidence incontestable ; demandez à l’ami Devedjian et à ses potes du Dashnak ce qu’ils en pensent ! Et pour faire bonne mesure, on rattachera l’enclave du Nagorny Karabakh, arrachée les armes à la main à l’Azerbaïdjan !

On retranche !

C’est là qu’intervient une inconnue supplémentaire à l’équation géographique : l’identité culturelle judéo-chrétienne définie par François Bayrou comme résultant « des influences croisées de Rome, Athènes et Jérusalem » ; Il est difficile d’être plus explicite en terme de discrimination exclusioniste à l’encontre des musulmans. C’est devenu l’argument massue des adeptes du « choc des civilisations », des défenseurs de « l’insolubilité de la culture musulmane dans les valeurs européennes » et de « l’incapacité des musulmans à adopter les principes modernes de démocratie, liberté… » comme des « paniqués de l’islamophobie » qui croient reconnaître un terroriste dans tout croyant de l’Islam ! Dans ces conditions, exit les états musulmans du projet européen : la Turquie, bien sûr, mais aussi l’Azerbaïdjan qui ne bénéficie pas de l’aura chrétienne de ses voisines arménienne et géorgienne… avec qui elle partage la Transcaucasie !

Et pour être logique, rejetons également de notre beau continent les régions musulmanes de Russie (Daghestan, Ingouchie, Tchétchénie…) et de Géorgie (Adjarie et Abkhazie)… et même la Kalmoukie à majorité bouddhiste… Non mais ! Et d’abord, s’il y avait des bouddhistes en Europe, ça se saurait ! Et puis, les Tchétchènes et les Abkhazes veulent leur indépendance… Donnons- leur ! Ca simplifiera le problème des frontières européennes et ça embêtera Poutine ! D’ailleurs ce grand démocrate ne désigne t-il pas les Caucasiens comme des étrangers, pour les livrer en pâture à la xénophobie populaire ?
Quant aux Albanais, Bosniaques… éludons, éludons ! Comme pour les millions de « citoyens européens » musulmans… c’est bien connu : « L’Europe, tu l’aimes ou tu la quittes ! »

Résultat de l’équation

Quel patacaisse ! Et ça n’est peu- être pas fini car certaines petites voix s’élèvent pour évoquer la proximité identitaire des chrétiens libanais (pas gênant, on fera un petit crochet pour inclure Beyrouth Est et le Chouf… d’ailleurs, c’est juste en face de Chypre !) et d’Israël… mais sans Gaza… et pas avant qu’ils n’aient terminé leur mur de la honte ! Parce que, on n’imagine pas de devoir « expliquer aux petits écoliers français que les frontières de l’Europe sont… la Palestine ! ».
Nous laisserons le lecteur imaginer le résultat cartographique… avec une pensée émue pour les générations de lycéens qui plancheront sur les cartes de l’Europe sarkozienne ! Heureusement, l’Asie mineure et la Cappadoce ne figurent pas dans les programmes scolaires de géographie ! Ouf !
Et, au fait, la Nouvelle Zélande, c’est une démocratie, une population chrétienne de culture européenne… Bref, un pays bien sous tous rapports… On fera bien une petite dérogation océanienne aux frontières de l’Europe… Chiche !

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