Alexandre Karavaïev *, Moscou
L’expérience des actions de la Turquie en Transcaucasie mérite d’être bien attentivement examinée. Elle constitue une variante de la politique russe postsoviétique dans la région et une sorte de correction des “erreurs des Russes”, lit-on lundi dans le quotidien Nezavissimaïa gazeta.
Ankara a avancé graduellement et délicatement dans la normalisation de ses rapports avec Erévan. Selon de nombreuses personnes, c’est un pas très difficile et autour duquel fusent des discussions, compte tenu des fortes humeurs pro-azerbaïdjanaises en Turquie et des engagements non ambigus pris par Ankara devant Bakou. En même temps, Ankara a pris le risque d’essayer d’établir des rapports avec l’Abkhazie, faisant connaître ses intérêts à Tbilissi de façon à ne pas affecter son partenariat stratégique avec la Géorgie.
Le vice-ministre turc des Affaires étrangères s’est rendu le 10 septembre en Abkhazie. Il y a un an, malgré la grande influence économique de la Turquie sur la région, une visite publique d’un fonctionnaire du ministère turc des Affaires étrangères dans ce pays non reconnu par Ankara n’aurait pas été comprise et aurait été critiquée non seulement à Tbilissi, mais aussi dans les capitales occidentales. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement faisable, mais aussi dicté par un schéma complexe de diversification de la politique régionale turque.
La Turquie progresse dans les lignes les plus critiques de la politique caucasienne. Il va de soi que cela ne mérite pas seulement attention, mais aussi soutien. C’est pour cela que la question se pose sur la possibilité de conjuguer les efforts de la diplomatie russe et turque pour le bien des deux pays.
Moscou considère souvent la politique turque comme “américano-turque” et, probablement, non sans raison. Mais un puissant lobby pro-russe existe également au sein de l’élite turque, il a notamment joué son rôle dans la construction du gazoduc Blue Stream. La politique étrangère turque se forme au sein des forces sociales du pays, au cours des âpres débats. C’est ce qui la distingue principalement de la politique russe. Cependant, l’expérience de l’élite byzantine est le lot des deux Etats quand on voit que les décisions définitives sont adoptées en Turquie, de même que chez nous, par un nombre restreint de personnes. Le système d’administration en Turquie ressemble au nôtre, sauf que le premier ministre y joue le principal rôle politique, alors que le président n’y est qu’un haut fonctionnaire investi de larges pouvoirs. Par conséquent, les prémisses de la coopération entre la Turquie et la Russie dépendront prochainement du caractère des rapports entre les premiers ministres des deux pays.
* Directeur général adjoint du Centre d’information et d’analyse de l’Université de Moscou.