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Réponse à l’article « Les raisons de refuser la candidature d’Ankara »

Envoyé à plusieurs reprises au Figaro (31/07/2004 et 04/08/2004) - N’a pas été publié

mercredi 11 août 2004, par Reynald Beaufort

Turquie Européenne.
Réponse à un article publié le 26 juillet 2004 dans la rubrique « Débats & Opinions » du Figaro.

C’est en tant que porte parole d’une centaine d’associations franco turques que j’ai demandé à ce que le Figaro publie cette réponse à l’article d’Alexandre Del Valle paru dans la rubrique « Débats & Opinions » le 26 juillet dernier.

Comme à l’habitude, ce prétendu « spécialiste » des questions touchant à l’Islam et plus récemment de la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, nous livre une compilation de préjugés, de lieux communs, d’arguments fallacieux et d’extrapolations hasardeuses inspirées par une détestation avouée de l’Islam.

Voici notre réponse à ses prétendus arguments :

Contrairement à ce qu’affirme Alexandre Del Valle et ainsi que l’a confirmé encore le 16 juin dernier, documents à l’appui, le sénateur Del Picchia* lors d’une conférence de l’ Institut de Relations Internationales et Stratégiques, l’Europe s’est bien engagée vis à vis de la Turquie et ceci à trois reprises : 1963 (les accords dits « Ankara »), 1999 au sommet d’Helsinki et en 2002 à Copenhague.
(*auteur d ‘un rapport sur la Turquie et sa vocation à entrer dans l’Union Européenne disponible sur le site Internet du Sénat)

Il est particulièrement pervers d’utiliser la question chypriote tout en taisant le fait que c’est la partie grecque qui a fait capoter le compromis trouvé par l’ONU au début de cette année.
Que la Turquie se soucie du sort de ses minorités vivant dans d’autres pays me semble tout à fait légitime. Les discriminations dont souffraient les communautés turques de Grèce et de Bulgarie ont été reconnues et condamnée par la CDEH, les choses se sont améliorées depuis. L’irrédentisme, M.del Valle, consiste à revendiquer un territoire que l’on prétend avoir été le premier à occuper, or les Turcs ne prétendent ni avoir occupé les premiers ces pays, ni n’ont de revendications territoriales à leur sujet.

L’amélioration du sort des minorités vivant sur le sol de la Turquie ou plutôt, puisque c’est d’elle dont il s’agit, de la soit disant minorité Kurde est en cours, il faut simplement avoir l’honnêteté d’admettre que les pratiques jacobines de la République Turque ne vont pas changer du jour au lendemain, de la même façon qu’elles n’ont pas tout a fait cessé en France. Il y a loin en effet de la coupe aux lèvres, il ne suffit pas de le vouloir pour qu’une nouvelle mentalité s’impose à tous du jour au lendemain.

Utiliser la nomination d’un citoyen turc à la tête de l’OCI à des fins dilatoires est encore plus ridicule, en quoi cette nomination laisse t’elle préjuger que la Turquie est acquise à l’Islam radical ?

Reprocher à la Turquie qu’elle soit musulmane à 99 % n’est pas un argument, est-il venu à l’idée de qui que se soit de reprocher à la Pologne d’être, à peu près au même taux, chrétienne ?
Dire que les Turcs se reconnaissent plus de proximité avec leurs voisins Irakiens qu’avec les Européens, montre une totale méconnaissance du pays, de son histoire et de la mentalité des Turcs, le seul point commun étant le nom de la religion dont se réclament la majorité des habitants des deux pays. Je dis bien le nom de la religion, car la façon même de concevoir la pratique de celle-ci et son interaction avec la sphère publique ou politique est totalement différente. C’est d’ailleurs ce que reprochent les fondamentalistes à la Turquie et la raison pour laquelle il l’ont frappée en novembre dernier et menacent encore de la faire.

70 % des femmes turques seraient voilées ? Il n’y a pas longtemps lors d’un débat télévisé il a avancé les chiffres de 75%. La prochaine fois sera-ce 65 ou 60 ? Ces chiffres sont invérifiables, forcément faux, car il n’y pas de statistiques sur les tenues vestimentaires en Turquie. Et il ne faut pas faire un amalgame malhonnête entre le port du foulard traditionnel par les femmes et celui du port du foulard islamique par militantisme religieux ou soumission aux préceptes islamiques. Nos grands mères portaient un foulard (on disait « fichu ») pour sortir parce qu’à une époque encore récente, il était inconvenant de sortir tête nue, et non pas parce que c’était une recommandation de l’église catholique. M. Del Valle suggère t’il d’ajouter des contraintes vestimentaires dans les critères d’adhésion ? Faut-il que les femmes turques soient adeptes de seins nus et du string sur les plage l’été pour l’agréer ?

Il est bien sûr exact de dire que l’état turc entretient des imams, mais l’Allemagne fait la même chose avec les prêtres et religieux d’autres confessions, qui lui oppose ? L’origine de cette pratique est un système de concordat qui ne vise pas à islamiser l’état, mais a pour objectif de ne pas laisser aux seuls religieux la main mise sur les affaires cultuelles.

La mention de la religion sur la carte d’identité est un symbole dérangeant qui est en passe d’être aboli. Le texte fait partie d’un futur « paquet » législatif. Il ne faudrait pas non plus exagérer la portée de cette habitude à laquelle n’est lié aucun contrôle particulier. C’est une simple déclaration, ce qui rend son côté discriminatoire moins efficace que l’appartenance « souhaitée » à leur parti politique qu’exigent discrètement certains élus locaux ici, en France, pour accéder aux fonctions publiques dans leurs administrations !

La laïcité en Turquie est solidement enracinée, il existe effectivement un mouvement anti-laïc minoritaire, comme il existe des mouvements fondamentalistes chrétiens aussi en Europe, cela donne-il à conclure que l’Europe entière les approuve ?

Il faut une bonne dose de mauvaise foi pour évoquer la levée de l’interdiction des partis se réclamant de l’Islam par Turgut Özal, puisqu’il s’agissait d’une demande expresse de l’Europe au nom des principes démocratiques, en même temps ont d’ailleurs été autorisées les organisations se réclamant du communisme.

Tant d’ignorance sur la réalité sociale et politique du pays nous fait mettre sérieusement en doute la qualité de « spécialiste » de monsieur Del Valle. S’il s’est rendu en Turquie, aurait-il sélectionné ses lieux de visite de façon à conforter son opinion négative sur le pays ? Imaginons un instant, un détracteur de la France ne visitant que les banlieues les plus défavorisées, les campagnes les plus reculées et faisant des actions des extrémistes de droite une généralité...

A travers ces procédés douteux, M. Del Valle dévoile ses vraies convictions, l’islam serait, d’après lui, dans sa totalité, une religion repoussoir incompatible avec la démocratie et les valeurs occidentales et européennes. C’est faire abstraction de la richesse et de la diversité de cette confession qui à des nuances tout aussi importantes que celles qu’on trouve dans la chrétienté.

Non, l’entrée de la Turquie n’est pas un dû, ce qui devrait l’être est l’ouverture des négociations en décembre. Alors, à égalité avec les autres pays déjà admis, il pourra être poursuivi un processus de mise en conformité de la législation et des institutions turques avec les normes européennes assorties d’évaluations régulières. De deux choses l’une : Soit la Turquie atteint le résultat souhaité (nous sommes très confiants à ce sujet) soit elle échoue. Et ne remplissant pas les conditions, elle n’entre pas dans l’UE. Mais ce serait une erreur de rejeter à priori à ce grand pays sans lui donner la possibilité de relever ce défi.

« Demande t’on à la Ligue Arabe d’intégrer Israël pour prouver qu’elle n’est pas un club musulman ? » Certes non, mais quel est le rapport avec le sujet qui nous préoccupe ? La Ligue Arabe est une alliance sur un critère ethnique comme son nom l’indique. Ce n’est ni le cas de l’Europe, ni celui de la Turquie... Mais encore une fois l’intention est claire, faire un amalgame entre Arabes, Turcs et intégrisme religieux, afin de semer la confusion. Le texte de la Constitution Européenne n’impose pas d’appartenance religieuse, le rejet de la Turquie pour la raison qu’elle est musulmane serait bien une dérogation au principe de laïcité.

En quoi l’intégration de la Turquie rendrait-elle l’extension de l’Europe infinie ? Nous savons que nous approchons de la conclusion en ce qui concerne les états ayant été admis comme candidats potentiels, rien n’empêche de s’arrêter ensuite, simplement en clôturant la liste des candidats.
Que vient faire ici la notion d’empire ? Un empire est basé sur la conquête militaire or l’Europe ne se construit pas par la contrainte mais par l’adhésion volontaire à un ensemble de valeurs communes. C’est M. Del Valle qui révèle ses velléités autoritaires et sa nostalgie du colonialisme quand il parle de pays « à démocratiser » comme s’il s’agissait d’un travail de missionnaire ou d’apporter la civilisation à des « sauvages » comme on le lisait dans les livres d’histoire de nos grands parents.

Il nous ressert l’argument de la démographie comme qu’il existait un « péril Turc », cela nous évoque l’époque où on nous rabattait les oreilles avec le « péril jaune ». Encore un fantasme : Le taux de natalité s’est nettement infléchi en Turquie, il est en passe de rejoindre celui des autres pays d’Europe, faire des extrapolations sur le passé est tout à fait absurde n’importe quel spécialiste sérieux vous le dira. En fait, d’ici à ce qu’elle rejoigne l’UE, la Turquie aura peut être 80 millions d’habitants, ce qui reste à peu près la population de l’Allemagne et un peu supérieur à la France, l’Espagne ou au Royaume Uni.
Dire, comme il l’a répété à maintes occasions, que la population turque atteindra les 100 millions ne résiste pas à un minimum de réflexion, cela signifierai une augmentation de 50 % en 10 ans ce qui est au regard de la fécondité actuelle et de la simple logique, tout simplement impossible. Peut être prend-il en compte les futurs candidats à l’installation des autre pays de l’Union ?
Cette proportion ne lui donnera pas de majorité sans coalition, soit avec de nombreux petits pays, soit avec certains des grands anciens. Où sera alors la menace ?

Son autre épouvantail préféré : L’armée turque dont il augmente le nombre à chacune de ses interventions et qu’il va bientôt prétendre aussi nombreuse que l’armée chinoise ! En quoi serait-elle plus menaçante à l’intérieur de l’Union qu’à l’extérieur ? Il faudrait nous expliquer ! ... D’autant plus qu’elle est déjà intégrée au dispositif de défense Européen et a servi de gendarme de l’Occident à l’époque de la Guerre Froide !

Voyons la suite : La Turquie serait la plaque tournante de tous les trafics, mafias... Etc....Elle doit cet état de fait à sa situation géographique de pont entre trois continents et non d’un choix délibéré. Elle collabore activement avec Europol et Interpol pour combattre ces fléaux dont elle est la première à pâtir. L’instrumentalisation de cette avanie revient en quelque sorte à reprocher à un malade de l’être.

Finissons-en par l’argument des frontières de la Turquie : On devrait alors rejeter la Turquie au motif qu’elle à des voisins peu stables dans lesquels la démocratie est absente ? Alors pourquoi avoir accueilli la Finlande et la Pologne voisines de la Russie soviétique puis de celle de Poutine ? A l’heure ou les terroristes se déplacent en avion privé (ou même volé !) et frappent au cœur de l’Amérique, l’argument de la proximité semble quelque peu dépassé, il n’y a plus que M. Del Valle et ses amis à voir les frontières comme des remparts.

Dans sa logique voulant que tout soit bon pour effrayer l’opinion française, nous nous attendons un jour à ce qu’il nous assène qu’il ne faut pas intégrer la Turquie de peur qu’elle exporte ses tremblements de terre !

Trêve de plaisanterie. Une fois de plus, nous assistons à un combat d’arrière garde de la partie la plus frileuse et la moins ambitieuse des élites françaises. Les mêmes, il y a quelques années, s’élevaient contre l’Europe, puis ensuite contre l’Euro, leur dernière trouvaille est cette opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Europe. Pourquoi ? Les instituts de sondage leur auraient révélé que les Français sont en majorité contre cette adhésion. Certains d’entre eux y ont vu une chance de se faire ou de refaire politiquement, d’autres, l’occasion de récolter des suffrages bien hypothétiques. A quoi riment ces sondages sur une question aussi complexe et sans information préalable et pluraliste de la population ? On a d’ailleurs eu une idée de leur fiabilité en observant, entre le plus et le moins défavorable de ces sondages, près de 20 % de variation ! Tout le monde sait que le moment où elle est posée et la formulation de la question déterminent le résultat et qu’ils sont un moyen très efficace pour influencer l’opinion.

L’adhésion de la Turquie est une grande chance, pour la Turquie bien sûr, mais aussi pour l’Europe. Elle lui apportera une nouvelle richesse culturelle, le formidable dynamisme de sa jeunesse et de son économie, des avantages stratégiques et économiques considérables sur lesquels je ne reviendrais pas, il suffit de se reporter aux travaux et publications de l’IRIS [1] à ce sujet. Et, nous le maintenons, elle montrera que ceux qui croient que le monde est bipolaire et manichéen comme M .del Valle, ont tort. Et c’est bien ce qui lui pose problème. Nous ne laisserons pas ses semblables remplacer la dualité capitalisme/communisme qui a causé tant de conflits meurtriers, par celle de l’Islam contre le reste du monde.

Reynald Beaufort
Président de l’association Turquie Européenne
Article rédigé conjointement avec Murat Erpuyan
Président de l’Association A Ta Turquie

Qui est Alexandre Del Valle ?


Article à l’origine de cette réponse :

UNION EUROPÉENNE - Turquie
Les raisons de refuser la candidature d’Ankara

PAR ALEXANDRE DEL VALLE *
[26 juillet 2004]

Au lendemain de la visite à Paris du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, dans le but de convaincre les sceptiques qu’Ankara est désormais prête à intégrer l’Europe, le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union et sur les frontières de l’Union européenne mérite d’être poursuivi. Aussi est-il nécessaire tout d’abord de répondre aux principaux arguments des partisans de la candidature turque, puis d’expliquer quelles seraient les conséquences géopolitiques de l’adhésion d’Ankara.

Dire que la Turquie est historiquement européenne est aussi vrai que de dire que la France, en tant qu’ex-puissance coloniale, est africaine. La Turquie n’est pas plus européenne par sa géographie (excepté Istanbul et la Thrace) que par ses moeurs ou sa conscience civilisationnelle. Les Turcs se définissent comme un peuple asiatique dont l’Age d’Or est l’apogée de l’Empire ottoman, et si une faible minorité kémaliste ou issue des quartiers privilégiés d’Istanbul se sent européenne, les habitants des favelas d’Istanbul et des campagnes de l’Anatolie se reconnaissent plus dans le voisin irakien que dans les Européens du Nord ou même dans les Grecs chrétiens. La récente nomination d’un citoyen turc à la tête de l’Organisation de la conférence islamique (OCI, prosaoudienne), puis les propos irrédentistes inquiétants d’Erdogan accusant la Grèce de « persécuter les Turcs musulmans » de Thrace (1), ou encore la politique panturque d’Ankara en Asie centrale et dans le Caucase, montrent bien que la Turquie demeure ce pays « dreaming west and moving east ».

Invoquer l’« irréversibilité » de la candidature turque sous prétexte qu’Ankara a signé un accord d’association en 1963, est membre de l’Otan et du Conseil de l’Europe, ou au titre d’une « promesse », ne tient pas. L’Otan et le Conseil de l’Europe ne sont pas des sas d’entrée dans l’Union. En réponse à la demande officielle d’adhésion d’Ankara (1987), qui fut rejetée, le Parlement européen avait voté une résolution - occultée aujourd’hui - exigeant en vain comme préalable la reconnaissance du génocide arménien, l’amélioration du sort des minorités, puis le retrait de Chypre. C’est donc Ankara qui n’a pas rempli ses obligations, et non l’inverse. Loin d’être un dû, le processus d’intégration de la Turquie peut être interrompu à tout moment sur décision d’un Conseil européen, d’un rapport négatif de Bruxelles ou par le veto d’un Etat membre.

- Dire qu’il « faut » intégrer la Turquie afin de démontrer que l’Europe n’est pas un « club chrétien » et ne « rejette » pas un candidat islamique est absurde : demande-t-on à la Ligue arabe d’intégrer Israël ou l’Inde pour prouver qu’elle n’est pas un « club musulman » ? Ce mauvais procès renverse les rôles, car c’est à la Turquie de prouver qu’elle n’est pas un « club musulman » : il y a plus de Turcs de confession musulmane à Paris que de chrétiens dans toute la Turquie (100 000), pays musulman à 99%.

- Dire que la Turquie demeure une « exception laïque » et un allié naturel contre l’islamisme, grâce à l’héritage d’Atatürk, est faux : la Turquie nouvelle autorise et réclame tout ce que rejetait Kémal : le voile, les partis islamiques, les confréries, les cours de religion obligatoires. Ses lois contre le blasphème condamneraient Atatürk lui-même ! Le kémalisme a connu un coup d’arrêt dès les années 50-60, avec les gouvernements Menderes et Demirel, et il est politiquement mort sous Turgut Ozal, ce grand artisan de la réislamisation qui abolit l’article 163 interdisant les partis islamistes. Comment peut-on soutenir qu’un pays dont 70% des femmes sont voilées, dont l’Etat entretient 90 000 imams et des milliers de mosquées, mentionne les religions sur les cartes d’identité, interdit la haute fonction publique et militaire aux non-musulmans, et qui est dirigé par un parti (l’AKP) issu d’un courant islamiste victorieux aux élections depuis le début des années 90, est encore un pays laïque ?

- On nous explique que les islamistes turcs au pouvoir sont des « modérés » et des pro-occidentaux qui maintiendront les liens avec l’Otan et Israël. C’est oublier les propos du ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, justifiant la polygamie devant un auditoire du SPD allemand, expliquant que « la démocratie n’est pas un but mais un moyen »(2). Les alliés américains savent eux aussi depuis la guerre d’Irak que la Turquie réislamisée ne coopérera plus jamais comme avant. D’autant qu’Erdogan a reproché à George Bush, lors du sommet de l’Otan de juin, sa politique « prokurde » en Irak (3), Ankara revendiquant une partie de ce pays au nom la même « politique des minorités » qu’elle invoque à Chypre ou en Thrace...

- L’intégration de la Turquie permettrait à celle-ci de « poursuivre sa démocratisation », nous dit-on. L’Union européenne est certes un espace de paix et de démocratie, mais elle est située du point de vue civilisationnel, donc naturellement « réservée » aux peuples de culture judéo-chrétienne marqués par la pensée gréco-latine et situés en Europe, ce qui fait déjà beaucoup de monde à démocratiser avant la Turquie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie étant infiniment plus européennes. Toute entité géopolitique doit avoir des limites claires, faute de quoi nous avons affaire à un phénomène néo-impérial ayant vocation à s’étendre à l’infini.

- Nos dirigeants ont-ils seulement conscience que la Turquie dans l’Europe deviendra l’Etat prépondérant de l’Union : dès 2020, Ankara disposera de 100 députés turcs majoritairement islamistes au Parlement européen (contre 72 pour la France et 98 pour l’Allemagne) ; sera la première puissance militaire et démographique de l’Union (bientôt 100 millions d’habitants et 850 000 soldats) ?

L’entrée de la Turquie dans l’Union ouvrira la boîte de Pandore de l’élargissement. Pourquoi refuser ensuite les 200 millions de turcophones du Caucase et d’Asie centrale ou les Etats du Maghreb ? L’UE héritera de tous les contentieux géopolitiques (eau, frontières, minorités, etc.) que la Turquie entretient avec ses voisins. Sans oublier les trafics de drogue, d’armes et d’immigrés clandestins dont elle est une des plaques tournantes majeures. L’Union aura comme voisins directs l’Iran des mollahs et la Syrie, parraines du Hezbollah ; l’Irak du djihad anti-occidental d’al-Qaida ; l’Azerbaïdjan et la Géorgie, points de passage des islamo-terroristes du djihad tchétchène...

Malgré cela, les partisans de la candidature turque affirment que son intégration à l’UE nous permettra de conjurer le choc des civilisations et de combattre la menace islamiste !

L’Europe serait une chance pour la démocratie turque, nous dit-on. Elle sera surtout une chance pour les islamistes turcs, jusque-là condamnés à édulcorer leur programme et à subir l’alliance avec l’Amérique et Israël tant que les militaires contrôlent le pays. Ne serait-ce que pour préserver l’exception kémaliste tant invoquée par les turco-euphoriques, les dirigeants européens devront réfléchir à deux fois avant de déclencher un processus qu’ils ne maîtriseront plus.

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Notes

[1Institut de Relations Internationales et Stratégiques

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