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Le PKK a déclaré la guerre à l’AKP (2)

mercredi 31 mai 2006, par Neşe Düzel

© Turquie Européenne pour la traduction

© Radikal, le 10/04/2006

Ümit Fırat Pourquoi ?

A la série de bizarreries qui ont suivi les évènements de Şemdinli, viennent de s’ajouter soudainement les émeutes dans le Sud-Est. Bien que généralement l’opinion publique puisse comprendre la raison des émeutes et l’objectif des manifestants, cette fois ce fut un peu difficile d’appréhender le sens de ces évènements. Que deux évènements étranges visant chacun à faire trébucher la Turquie sur la voie qu’elle suit dans son processus de négociations avec l’UE, se suivent d’aussi près n’a pas manqué d’éveiller des soupçons chez nombre d’intellectuels. On a commencé à régulièrement évoquer la possibilité que les faucons kurdes et turcs puissent se donner la main et monter des opérations communes. C’est peut-être la première fois que la question de savoir si deux forces apparemment différentes ne constituaient pas en fait un seul et même front a été posée de manière aussi claire.
Nous avons donc décidé de poser ces questions à Ümit Fırat, un intellectuel kurde de tout premier plan, à l’origine de l’organisation de la conférence tenue le mois dernier à l’Université Bilgi sur la question kurde.
Emprisonné pendant 4 ans lors du dernier coup d’Etat, il a longtemps travaillé aux Editions Iletisim. Il fait aussi partie de membres fondateurs du Parti de la Nouvelle Démocratie de Cem Boyner.


Suite de l’entretien avec Ümit Fırat.

- Le PKK ne se réjouit pas de ce que l’UE peut apporter de prospérité et de liberté aux Turcs et aux Kurdes de ce pays. Pourquoi le PKK est-il anti-UE ?

Parce que dans un pays membre de l’UE, il ne peut y avoir de PKK. Dans un pays garantissant les droits fondamentaux et les libertés, il n’y aurait plus aucune raison à l’existence d’un tel parti. Il se vante d’être dans les montagnes pour la liberté des Kurdes. Si les Kurdes en venaient à être aussi libres qu’en Europe, que pourrait-il alors dire ? Si les questions des droits et des libertés sont résolues, ce sont alors d’autres alternatives politiques qui risquent de surgir. Mais le PKK est-il capable d’une évolution interne ? Ce serait bien mais je ne suis guère optimiste.

- Quel genre d’arrangement peut-il exister entre les Turcs anti-UE et le PKK ?

Juste au moment où la Turquie se démocratise, où elle s’apprête à recevoir une date des instances européennes, un certain nombre de forces relancent les affrontements. Parce que les forces militaires sont bien plus écoutées en période d’affrontements. Souvenez-vous : 2002-2004 fut une période de réformes durant laquelle les militaires ont joué un moindre rôle politique sur la scène politique. Zübeyir Aydar a lu le texte qui annonçait la reprise des actions du PKK, le 1er juin 2004 sur la montagne de Kandil. Or il s’agissait bien d’une décision prise un mois plus tôt par Öcalan et annoncée lors d’un entretien avec son avocat. Et cette déclaration de guerre est sortie de prison en portant le tampon « vu ».

- Bien, mais qu’est-ce qu’un Kurde moyen attend vraiment ? La liberté et la prospérité que l’UE peut lui procurer lui paraissent-elles insuffisantes ?

Pour le citoyen lambda ce n’est pas insuffisant mais pour une personne instruite ou pour un notable, ceci peut très bien ne pas suffire. Ce qui est très normal. Même s’ils ne sont pas très nombreux, certains Kurdes souhaitent un Etat indépendant. Et ceux-ci souhaitent que la Turquie rentre dans l’UE et que les Kurdes deviennent des voisins de l’UE.

- Le motif des manifestations était-il l’indépendance ?

Non. Ces manifestations de rue étaient des démonstrations politiques du PKK. Ce qui signifiait à peu près qu’il faut toujours compter avec eux. D’ailleurs, depuis la montagne de Kandil, Murat Karayilan a fait savoir que les manifestations se poursuivraient.

- Il y a de très nombreux citoyens kurdes exilés dans les grandes villes où des jeunes kurdes ont également pris part aux manifestations. Cherche-t-on à monter les communautés l’une envers l’autre ?

Il y en a qui cherchent ceci au sein de l’Etat mais la sensibilité dominante dans l’appareil d’Etat va plutôt à la prévention de telles provocations. Parce que l’Etat en Turquie ne crée généralement que des crises qu’il peut contrôler. Si deux communautés s’affrontent alors l’Etat n’est plus en mesure de contrôler quoi que ce soit. Et il se méfie de ce genre de crises.

- Les intérêts d’un Turc et d’un Kurde moyens sont-ils si différents ?

Ils sont parfois semblables, parfois différents. Par exemple, la reconnaissance internationale d’un homme d’affaires turc, le succès du cinéma turc ne signifie pas grand-chose pour un Kurde. Le fait que la Turquie finisse troisième de la coupe du monde de football n’a pas signifié grand-chose pour les Kurdes. Au contraire, le succès d’une équipe kurde dans une poule de quartier peut être source de fierté pour un Kurde. Le fait que Barzanî soit le Président de la région kurde autonome en Irak a beaucoup de sens pour un Kurde, mais peut être très inquiétant pour un Turc.
Tout cela procède d’une conscience qui est la conséquence de politiques d’Etat menées après les années 70. Les Kurdes n’ont pas voulu être les autres. Nous ne voulons pas être assimilés à des Turcs. Nous sommes les citoyens kurdes de Turquie. La turcité est une identité ethnique. Nous nous y opposons par réflexe. Lorsque vous dites de l’équipe nationale qu’elle est turque, un Kurde ne se pense pas dans ce concept de Turc.

- Le racisme croît-il parmi les Kurdes ?

Pas rapidement mais au final, dans chaque société on retrouve des sentiments ressemblants. Bien évidemment parmi les Kurdes, se trouvent des éléments se lançant dans des recherches mettant en avant la race, plus tournés vers la notion de race. Cela se développe. C’est une question d’action-réaction.

- L’objectif de l’UE ne peut-il pas réunir les démocrates turcs et kurdes ?

C’est bien ce que nous souhaitons. C’était le but de la conférence sur les Kurdes qu’on a organisée il y a de cela un mois. Les demandes des démocrates turcs et des démocrates kurdes sont les mêmes.

- Le PKK est contre l’UE. Et les Kurdes ?

Le peuple kurde est partisan de l’adhésion à l’UE. Les Kurdes ne défendent plus la guerre comme par le passé.

- Nombre d’intellectuels turcs voient dans ces événements la convergence des intérêts des faucons kurdes et turcs. Qu’en pensent les intellectuels kurdes ?

Certains pensent la même chose ; mais pas tous. Entre nous, ils disent que cette guerre peut produire de très néfastes conséquences mais ils ne peuvent pas, de peur ou pour d’autres raisons, le dire à voix haute. Parce qu’on a chez certains des attentes politiciennes dans le sens d’une candidature DTP (Parti pour une Société Démocratique, pro kurde) pour les prochaines élections. Ils ne sont pas prêts à s’opposer aux positions du centre.

- Les faucons turcs et kurdes peuvent-ils, en s’alliant, nous tendre un piège à tous ?

Oui, bien sûr. Ils n’ont pas négocié ni écrit un scénario en commun mais il existe une entente tacite de ces deux extrèmes. Leurs intérêts sont communs. Vous avez enfermé un homme sur l’île d’Imrali [Öcalan]. C’est ce qui s’appelle une peine de cellule. Un homme reste seul dans une pièce. Lorsqu’il est question de cellule, les 4 mètres carrés sont-ils impératifs ? La veille de la fête de la victime, son avocat et sa soeur viennent lui rendre visite. Et vous leur dites : « il est en cellule. Les visites lui sont interdites. » Une attitude absurde. Et je vais vous l’expliquer : cela signifie qu’à nouveau les Kurdes de tous les continents vont descendre dans la rue. Et c’est ce qui s’est d’ailleurs passé. Jusqu’en Australie, où qu’on puisse trouver des Kurdes, ils ont manifesté. Quel peut bien être le sens d’une mesure visant à condamner Öcalan à un isolement en cellule. Qu’a-t-il fait ? S’est-il révolté ? On dit qu’il est intervenu dans les décisions du PKK. Mais les procès verbaux de tous ses entretiens passent par ton bureau. Ne les diffuse pas alors. Cela, ça n’est rien d’autre que de la provocation.

- Dernière question : Quel genre d’évolution pourrait satisfaire les jeunes kurdes ?

Une fois acquises des chances plus élevées de rentrer à l’université et d’échapper à la misère, une fois moins considérés comme « les autres », une fois leurs droits culturels garantis, les jeunes kurdes pourraient être en mesure de résoudre nombre de problèmes. En général, ce sont des jeunes qui ont un penchant certain pour le militantisme. Ils ont connu aussi beaucoup de traumatismes. On a tué devant leurs yeux leurs frères. Leurs parents ont connu la torture. Ces jeunes n’attendent rien de l’avenir. Très peu d’entre eux portent l’espoir d’aller au lycée et de rentrer à l’université pour devenir docteur. Et à ce moment-là, l’idée d’embrasser la carrière des armes et de devenir un héros peut leur sembler attirante. Ils pensent qu’ils pourront ainsi se libérer. C’est une façon de percevoir les choses. Ce n’est pas une chose positive mais c’est aussi une réalité sociale.

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